Chaque fois que dans la Grande Lande girondine, je traverse Origne, village de moins de 200 âmes, je fais l’analogie entre le nom du lieu et celui de l’animal roi de la forêt canadienne, l’orignal. Pas vraiment beau, peu communicatif, mais imposant, c’est le plus grand cervidé du continent américain. Son nom vient, paraît-il, du basque Orein. Preuve, à en croire certains historiens, que bien avant que Jacques Cartier ait officiellement obtenu ses lettres patentes, les Basques vadrouillant déjà du côté de l’Amérique du nord en avaient rencontré quelques spécimens.
Dès l’ouverture de la route maritime vers le Nouveau Monde, les Basques, qu’ils soient français ou espagnols, ont été marins sur les caravelles qui faisaient cap à l’ouest. Les équipages pratiquent alors la chasse à la baleine dont l’huile est recherchée sur le vieux continent. Chaque printemps, à la fonte des glaces, ils arrivent sur leurs stations de dépeçage qui ont été gardées pendant l’hiver par les tribus autochtones avec lesquelles, de prime abord, ils entretiennent de bonnes relations, repartant lorsque les eaux commencent à être prises par les glaces. Pour faciliter les contacts, les échanges se font au moyen d’une langue véhiculaire dont quelques termes issus du basque existent encore dans les langues autochtones comme le micmac. Orein/Orignal, serait de ceux-là. Dès le début du 16e siècle, des baleiniers de deux à trois cents tonneaux s’équipent dans les ports de Saint-Jean de Luz et de Ciboure, démarrant l’aventure française au Canada, et des navires morutiers de cent tonneaux sont armés à Bordeaux avec le concours d’équipages basques. Commencée vers 1525, la chasse à la baleine a été pratiquée intensivement durant un siècle, connaissant son apogée entre 1550 et 1580. Il en reste des traces pieusement conservées jusque dans l’intérieur des terres, comme ce morceau de hache de métal[1] retrouvé en Ontario sur le site d’un ancien campement Huron-Wendat, daté du tout début du 16e siècle ( 1510-1520). Les archéologues ont retracé sa fabrication dans la ville de Zerain en Guipuscoa. De cette époque daterait aussi l’installation de baleiniers basques sur une île qui porte leur nom (Île-aux-Basques), minuscule territoire de 2 km de long et 400 m de large qui fait face à la ville de trois Pistoles au Québec. Son four à huile est orné d’une svastika (lauburu), emblème caractéristique de leur culture.
Plus tard viendront les pêcheurs de morue, bretons, normands et basques également. A tous ceux-là, les maîtres d’équipage demandent de jurer sur le livre saint de ne pas dévoiler « la route des moulues ». Il faut dire que du côté des Grands Bancs de Terre-Neuve, la morue est tellement abondante qu’on la pêche au panier ! Viennent aussi les premières concurrences, les pêcheurs se lançant dans la traite des fourrures avec les autochtones pour compléter leurs revenus lors des mauvaises saisons de pêche. A la création de la Nouvelle-France, les détenteurs des privilèges royaux vont peu à peu chasser pêcheurs et chasseurs des berges où ils s’installent à la belle saison, leur créant des difficultés croissantes à trouver des endroits où fondre la graisse de baleine et traiter la morue. Les livres d’histoire retracent les démêlés des Lefebvre de Bellefeuille, propriétaires au début du 18e siècle d’un petit établissement de pêche à la morue sèche qui étendirent leur pouvoir jusqu’à acheter la Seigneurie de Pabos dans la région de Gaspé. Ces difficultés alliées à la présence de plus en plus grande des Anglais et des Hollandais dans les eaux nordiques vont concourir à mettre fin à leurs activités.
Tout le golfe du Saint-Laurent, une partie de la côte de Nouvelle-Ecosse, la côte Est du Québec, l’île de Terre-Neuve portent des traces basques et quelques toponymes caractéristiques : la localité de Port au Choix dans le nord-ouest de l’île de Terre-Neuve doit son nom à ses premiers « résidents » basques qui la nomment Portutxoa (petit port). Son site archéologique témoigne de la présence avant eux de peuples amérindiens de la culture archaïque maritime. On peut y voir une ancienne chaloupe et un four à pain reliés aux Basques qui y séjournaient durant leurs campagnes de pêche. Mais le témoignage archéologique le plus ancien est la station de chasse à la baleine anciennement appelée Butus qui accueillait 600 hommes et 5 grands navires baleiniers au sud du Labrador au moment de son exploitation au 16e siècle à Red Bay. Le site avec ses fondoirs, ses vestiges répartis entre terre et mer est classé au patrimoine UNESCO depuis 2013. La station baleinière a disparu depuis plusieurs décennies que s’illustre Joannès de Suhigaraychipi, corsaire au service de Louis XIV, dit Le Coursic. Héros légendaire de la Course, le Bayonnais affronte les Anglais et finit par périr en 1694 face à Plaisance, site de l’établissement français permanent à Terre-Neuve, situé sur la côte sud de l’île, où se trouve encore sa tombe.
Environ cent familles basques font souche au Canada entre 1660 et 1763, beaucoup s’installent le long des côtes, poursuivant une activité de pêche ou de transformation de la ressource maritime.
Laissons passer deux siècles. Le 19e siècle voit 80 000 Basques s’exiler vers les Amériques, quittant leurs vallées de Navarre et de Basse Navarre à la poursuite d’un rêve, celui de faire fortune. Bateaux remplis d’immigrants d’abord attirés par la pampa argentine dont certains remontent vers la côte ouest des Etats-Unis. La ruée vers l’Or de 1848 les appelle. Du côté de San Francisco, ils rencontrent des Français qui, fuyant la France de Louis Napoléon Bonaparte, poursuivent un autre rêve, celui d’une vie libre et sans entrave marquée par la fraternité et l’égalité sociale. Parmi eux le Basque Paul de Garro, en délicatesse avec la politique française de l’époque, y connaitra une étrange destinée. Activiste autant qu’utopiste, ses pas le portent jusqu’en Colombie-Britannique[2] où il s’installe autour de 1858 avec le projet de créer un média qui porterait ses idées au sein des populations francophones de chercheurs d’or de la rivière Fraser. Hélas, la publication ne rencontre que peu de lecteurs, et pour cause. Le chercheur d’or de base est souvent analphabète ! De Garro mourra à bord d’un bateau qui remontait le fleuve vers les sites aurifères suite à une explosion dans la salle des machines !
Durant la première moitié du 20e siècle, arrivent en grand nombre ceux que l’histoire appelle les Bergers basques de Californie. Pour eux, l’or se trouve dans les pâturages des grandes plaines. A la tête de troupeaux de milliers de moutons, certains font fortune, appelant ensuite de jeunes bergers de leur vallée d’origine à leur prêter main forte. Peu d’entre eux ont réalisé leur rêve, une petite minorité s’est fait une vie nouvelle. Beaucoup ont disparu ou sont revenus au pays, gardant précieusement pour leurs descendants les récits de leur périple. Parmi ceux qui sont restés, il y en a eu pour s’installer du côté de Vancouver, devenus forestiers pour la plupart. Ces descendants de bergers continuent d’y célébrer leur « basquitude » lors des fêtes d’Olentzero ou de la San Firmin en abarkas[3], bérets noirs et boléros de laine.
Image à la Une : Fourneau à huile de l'Île-aux-Basques (auteur Botsci, domaine public)
Claude Ader-Martin
Basques : L’Encyclopédie canadienne. Article par René Belanger
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/basques
Baleiniers basques. Musée virtuel de la Nouvelle-France
https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/activites-economiques/baleiniers-basques/
Les Basques en Nouvelle-France : une présence étonnamment active et continue. Paul Bennett. Le Devoir. 18 juin 2011.
[1] Hache de Mantle, du nom du village proche de Toronto où elle a été retrouvée par une équipe d’archéologues dirigée par Ron Williamson et Jennifer Birch de l’université de Toronto.
[2] Elle porte alors le nom de Nouvelle-Calédonie, d’où le nom de la revue créée par l’Evêque de Victoria (île de Vancouver), Modeste Demeurs et Paul de Garro : Le Courrier de la Nouvelle-Calédonie.
[3] Chaussons traditionnels en caoutchouc attachés avec des cordons le long des jambes.