Quand l’Amérique et l’Angleterre s’invitaient dans nos parcs et jardins : découverte en Corrèze.

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Désir d’escapade avec de grands géants américains ? Envie d’un décor bucolique à l’anglaise ? Découverte sensorielle dans un jardin de curé à l’ombre d’une belle demeure ?  Evasion dans une région de collines et de vallons verdoyants, au pays des Ventadour de Lévis?   Alors, direction la Haute-Corrèze sur la route de Lyon, à trois heures de Bordeaux.  

La découverte des Amériques avec dans son cortège d’explorateurs,  les meilleurs spécialistes de la botanique chargés d’inventorier les nouvelles espèces végétales et leurs utilisations, va élargir l’état de la connaissance en histoire naturelle et introduire en Europe des plantes nord-américaines modifiant ainsi nos habitudes non seulement alimentaires mais aussi nos savoirs et nos pratiques culturales, la mondialisation est en marche!  

Fin XVIIIe, sous l’influence anglaise, le jardin français (1) deviendra un paysage et une peinture.  Les arbres exotiques d’origine américaine vont s’intégrer avec harmonie aux arbres indigènes dans la composition des parcs romantiques au 19e, un héritage patrimonial paysager qui a façonné nos parcs et jardins d’aujourd’hui.  

Les grands témoins de cette période sont ces arbres bicentenaires et remarquables sauvegardés aux confins de l’Auvergne et de la Nouvelle-Aquitaine (2), loin des grands centres urbains, comme c’est le cas avec l’Arboretum du Château de Neuvic d’Ussel en Haute-Corrèze qui a su allier tradition et modernité, découverte et pédagogie dès 1830, toujours géré par la même famille.

Découvertes américaines et jardins d’acclimatation

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Tulipier de Virginie

En 1726, une ordonnance royale impose aux capitaines de navires de rapporter des graines et végétaux des îles d’Amérique et de leurs voyages lointains, ainsi se développe dans toutes les villes portuaires, des jardins botaniques pour accueillir, acclimater et multipler les plantes et semences rapportées des expéditions.  Le rochefortais Rolland-Michel Barrin, comte de la Galissonnière (petit fils de Michel Bégon), de retour de mission de Nouvelle France, importe en 1737, les premières graines du Magnolia Grandiflora à Nantes, sur son domaine de la Galissonnière.  La liste des plantes et semences rapportées de ses voyages est considérable, quelques exemples : les érables d’Amérique, le pacanier, la pomme de terre, le plaqueminier, les amélanchiers…  Le premier tulipier de Virginie aurait été planté au Petit Trianon en 1771.  Dans le jardin des Retours à l'Arsenal de Rochefort (Charente-Maritime), vous pouvez admirer ces diverses plantes ramenées d'Outre-mer, présentées dans des tontines en béton qui reproduisent les petits containers en vannerie qui servaient au transport des végétaux à l'époque.  

A cette activité d’exploration et découverte s’ajoute peu à peu la création de pépinières sur les lieux de récolte.  Le botaniste André Michaux créa à New York et en Caroline du sud, les premiers centres de multiplication des végétaux pour satisfaire la clientèle française et anglaise. Il importe d’Amérique le fameux cyprès chauve, arbre de prédilection des prairies humides.  David Douglas, de retour d’Oregon, rapporte en Europe, le célèbre conifère en 1827 qui portera plus tard son nom ainsi que trois cents espèces d’arbres que nous retrouvons actuellement dans la plupart des beaux parcs d’agréments.

Des jardins français à la mode anglaise

Le 18esiècle voit également la naissance d’un mouvement esthétique puissamment soutenu par le remarquable développement économique de l’Angleterre.  Les Amériques et le commerce enrichissent les grandes familles aristocratiques, et beaucoup d’entre elles demeurent une grande partie de l’année sur leurs terres.   Peut-être la nature même du paysage anglais, doucement vallonné, ouvert, organisé en bocage et relativement peu boisé avec ses bouquets d’arbres, favorise-t-elle l’essor de ce mouvement soutenu en France par Rousseau et les Encyclopédistes qui décrient l’art classique (1) en faveur sous Louis XIV au profit d’une nouvelle génération de jardin dit " pittoresque et pastoral".  Versailles n’échappe pas à ce nouveau courant : Louis XVI fait don à Marie-Antoinette du Petit Trianon où la reine va créer son jardin anglais ainsi qu’une petite exploitation agricole avec un potager et des animaux.  

En Nouvelle-Aquitaine, le premier jardin de style anglais arrive en 1760 au sud de Bordeaux. Voyageur et fin connaisseur de l’Angleterre, féru de botanique, Montesquieu invite son ami, l’abbé de Guasco en ses termes « Je me fais une fête de vous mener à ma campagne de la Brède, où vous trouverez un château (…) orné de dehors charmants dont j’ai pris l’idée en Angleterre ».  Entouré d’immenses douves, le château de style gothique embrasse un grand parc aéré par de vastes prairies ceinturées de bois

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Séquoia du Château de Neuvic d'Ussel (1850)

A la fin du XVIIIe, les pelouses recouvrent progressivement les parterres, les arbres exotiques chassent les topiaires, les rivières et les lacs prennent le pas sur les bassins ou canaux. Au XIXe siècle, la mode est au parc paysager et au style pittoresque,  cette esthétique paysagère se généralise dans les grands domaines. Actuellement, nous vivons en grande partie dans ce patrimoine paysager façonné au XIXe et dont nous admirons aujourd’hui ces arbres remarquables sauvegardés par la collectivité ou des privés, et bénéficiant de conditions climatiques idéales comme c’est le cas dans l’ancienne région du Limousin, terre d’excellence pour ses paysages,  qui compte plus de « 1 000 arbres remarquables (2) » à la fois indigènes et exotiques.

Un parc d’exception : l’arboretum du Château de Neuvic d’Ussel, labellisé « Jardin remarquable » en 2007.

En Haute-Corrèze, l’arboretum du Château de Neuvic d’Ussel est un bel exemple d’un parc paysager agricole dont l’origine remonte à 1830 grâce à Jean-Hyacinthe d’Ussel dit Alfred (1809-1891) descendant d’une des plus anciennes familles de la région, le parc appartient toujours à la même famille, dirigé avec passion et expertise par Béatrix d’Ussel, très investie dans l’économie touristique locale.

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Héritier du domaine et suite à un incendie en 1822, Alfred va y bâtir une belle demeure dans le style restauration tout en redessinant les contours du parc selon les principes du « comte de Choulot » : son dessin en forme de haricot s’articule autour d’une pièce d’eau avec trois espaces : prairie, croupe, fonds de jardin.  Il conserve les essences déjà introduites tel un tulipier de Virginie, planté en 1817 et très prisé pour ses feuilles de forme élégante, à long pétiole, et ses fleurs- ainsi qu’un hêtre pourpre datant de 1820, auxquelles il ajoute, entre autres un séquoia géant planté en 1850 (l’un des plus grands d’Europe aujourd'hui!), un douglas en 1845, ainsi que des chênes rouges d’Amérique, des sapins grandis de Vancouver, un cyprès de Lawson avec 8 troncs (un couvert végétal au sol de 300m2 !), des micocouliers de Virginie et près de la pièce d’eau des cyprès chauves de Louisiane…..  Essentiellement utilisés pour des questions ornementales liés à leur port ou à la couleur de leur feuillage, ces arbres « nouveaux et exotiques » pour l’époque sont associés aux essences régionales, créant ainsi de subtils jeux de volumes et de couleurs.

Egalement figure locale pour son engagement politique et éducatif, Alfred d’Ussel est à l’origine de la création de la ferme-école des Plaines (3) pour la formation professionnelle des jeunes.  Précurseur d’importantes campagnes de reforestation en Corrèze,  il introduit des variétés de résineux comme le douglas, présent partout en Haute-Corrèze.

Une autre particularité de la famille d’Ussel : chaque génération contribue au renouvellement des espèces dans le parc.  Ses descendants proches d’Alfred Alphand (4) planteront des cèdres bleus de l’Atlas, des pins de l’Himalaya, d'autres des araucarias ou plus tard, dans les années 50, des pins parasol et autres variétés asiatiques, une mondialisation qui s'invite dans l'intimité du parc et de la famille.  Aujourd’hui, Béatrix d’Ussel poursuit la mise en valeur du parc paysager du 19e, dans un souci de retrouver le charme de la création originelle associée à une démarche soucieuse de l'environnement.  Elle privilégie tradition et modernité grâce aux pratiques culturales sélectives (fauche tardive, écosystème pour faune et flore sauvage) ou aux sites témoins de l'histoire familiale, ici un kiosque en rondins, là une croix, ailleurs un verger de variétés anciennes ou un jardin de curé avec ses « simples » et « aromatiques » pour la cuisine, à l’ombre de la chapelle St Guillaume dont les vitraux récents traités en relief façon « Lalique », offrent autant d'espaces paysagers pour découvrir l'histoire du parc.

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Depuis 2018, le domaine est inscrit au titre des monuments historiques comme « Modèle du 19esiècle », et labellisé « Jardin remarquable » en 2007, il est dorénavant ouvert à la visite. Le domaine est également membre de la LPO-Ligue de protection pour les oiseaux.

Loin des grands centres touristiques, cet arboretum est non seulement un havre de paix dans une belle région arborée mais offre un voyage dans le temps pour découvrir le patrimoine paysager à la mode anglaise avec des essences américaines, de quoi susciter l’intérêt des visiteurs amateurs de tourisme vert ou de botanique, et valoriser des circuits de découverte au pays des Ventadour de Lévis.

Anne Marbot

Bibliographie :

  • Dialogue avec des arbres remarquables en Limousin.  Auréjac C., Freytet A., Watel F.  Limoges : Les Ardents Editeurs, 2011.
  • Histoire des Jardins.  Prévôt Ph. Bordeaux : Ed. Sud-Ouest, 2006.
  • Voir également liens activés dans le texte

Notes

  • (1) Exaspéré par la « dictature du cordeau », Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dans La Nouvelle Héloïse, s’insurge contre les architectes grassement rémunérés « pour gâter la nature ».  Il est inhumé dans le Parc d’Ermenonville (Oise) créé en 1763 par le marquis de Girardin en rupture avec le jardin classique, qui modela les paysages autour de son château, une succession de « tableaux » inspirés de la peinture et la poésie romantique.  Jean-Jacques Rousseau y passa ses derniers moments et repose désormais sur l’Ile des Peupliers.
  • (2) En Limousin (aujourd’hui Nouvelle-Aquitaine) la DREAL- Ministère de l’Environnement, a dressé un inventaire de plus de 1000 arbres répertoriés et qualifiés de remarquables selon les critères suivants : leur intérêt historique, leur âge, leur port, leur rareté botanique ou leur qualité paysagère.  On compte plus de 350 arbres en Creuse, 200 en Corrèze et 500 en Haute-Vienne.  Un patrimoine arboré exceptionnel constitué non seulement d’espèces locales comme les tilleuls, châtaigniers, chênes, hêtres mais aussi des espèces exotiques dont des conifères introduits aux 18e et 19e siècles.
  • (3) La ferme-école des Plaines crée en 1850 par A. d’Ussel, grâce à la loi Touret de 1848 qui organise l’enseignement agricole : les fermes écoles, destinées à une formation essentiellement pratique, les écoles régionales et l’Institut agronomique de Versailles.  A Neuvic, le souhait de son fondateur est de « former de bons chefs de culture (…) des agents éclairés propres à hâter les progrès de l’agriculture locale », à l’origine de l’actuel établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole Henri-Queuille.
  • (4) Alfred Alphand (1817-1891) : Ingénieur des Ponts et Chaussées, il est appelé par la baron Haussmann à la tête du nouveau service municipal des promenades et plantations de la ville de Paris.  On lui doit tous les aménagements des avenues et jardins du Second Empire dont les bois de Boulogne et Vincennes.  Il fut également Conseiller Général de la Gironde de 1856 à 1867.

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