Si le Carême appartient au calendrier liturgique des Chrétiens et plus particulièrement des Catholiques, la fête de la Mi-carême est une pure tradition remontant au Moyen-Âge durant lequel cette période d’extrême austérité devait être très strictement suivie par les fidèles. Après avoir mangé lors du Mardi Gras force crêpes, histoire de consommer les réserves de beurre et d’œufs impossibles à garder propres à la consommation durant sept semaines, le Mercredi des Cendres - jour de purification et de pénitence - marquait le début de la période du Carême. Restait alors à attendre plus de 40 jours sans gras ni viande avant d’arriver à Pâques et ses réjouissances. Cette période correspondant à la fin de l’hiver paraissant bien longue à supporter, on en vint- l’Église fermant les yeux- à briser le jeûne à mi-parcours, traditionnellement le quatrième jeudi du carême. Ce jour-là étaient permis jeux de carte, musique, danse, consommation de gâteaux et de viande. Certains se déguisaient et allaient en groupes de maison en maison où ils se faisaient offrir boissons alcoolisées et friandises, mettant au défi leurs occupants de les reconnaître. Belle occasion de rire et de se goberger ! La tradition de cette mi-carême fût amenée par les premiers colons français d’Amérique du Nord dès le XVIe siècle. Si elle se confond souvent en France avec le Carnaval, elle s’est affaiblie au Canada après la deuxième guerre mondiale et surtout après le Concile Vatican II qui a fait perdre au Carême son caractère très restrictif, elle continue à être vivace dans certaines régions acadiennes du Canada, l’Île-du-Prince-Edouard, les îles de la Madeleine où vivent de nombreux descendants d’Acadiens, la Côte Nord du Québec ainsi qu’en Nouvelle Ecosse où elle a pris une dimension particulière. En effet, chaque année depuis 1987, les résidents des trois paroisses acadiennes de Saint-Pierre de Chéticamp, Saint-Joseph du Moine et Saint-Michel de Magré situées au Cap-Breton en Nouvelle-Ecosse renouent avec la tradition non loin d’un musée qui lui est entièrement consacré.
La présence d’un Musée de la Mi-carême au Cap-Breton n’est pas un fait du hasard comme l’explique Barbara LeBlanc, anciennement professeur à l’Université Sainte-Anne de Nouvelle-Ecosse. Il a été pensé et construit de manière à valoriser la culture francophone particulièrement forte dans cette région acadienne. Mais aussi à favoriser l’émergence d’un projet communautaire dans l’Est de la Nouvelle-Ecosse fortement impacté par le chômage suite à la disparition d’unités de transformation du poisson liée à la politique fédérale de gestion des quotas de pêche. A la suite d’une consultation engagée dès 1998, un projet voit peu à peu le jour visant à développer de nouveaux savoirs pour permettre à une population peu formée de rebondir sur le marché du travail. La communauté acadienne fait le choix de la culture et du tourisme pensé autour de ses traditions : fabrication de masques et de costumes, mais aussi tapis « hookés» (crochetés). Ces tapis d’inspiration naïve longtemps destinés à l’usage domestique puisque fabriqués à base de restes de laine usagée devint une forme d’expression artistique à part entière sous l’influence de quelques mécènes dont certains proches de la famille de l’inventeur du téléphone Alexandre Graham Bell, un familier de cette région de Nouvelle-Ecosse. En 2007, l’association qui mène le projet reçoit le feu vert pour la création, au lieu dit Havre de Grand-Étang, d’un musée interactif sur les traditions liées à la Mi-carême qui allie expositions, animations théâtralisées, cours de danses traditionnelles, vente d’objets d’artisanat, mais aussi lieu de mémoire doté d’un site internet particulièrement dédié à des sessions de formation. L'écrivain et homme politique canadien Clive Doucet est d'ailleurs l'auteur de deux livres consacrés à ses racines acadiennes au Cap-Breton, à Grand-Etang. Voici son témoignage audio.
La tradition de la Mi-carême a été célébrée sans interruption depuis l’arrivée des premiers Acadiens dans la région de Chéticamp en 1785 après leurs longues années d’exil et d’errance suite au Grand Dérangement. L’activité principale consiste à « courir la Mi-carême », c’est-à-dire à se masquer et se déguiser avant de se présenter à la porte des maisons, mettant chacun au défi de les reconnaitre sous leur travestissement. Dans les trois paroisses du Cap-Breton précitées, la fête dure une semaine entière et toute la communauté y participe. Radio et télévision communautaires se font les relais des festivités qu’elles mettent en valeur. C’est l’occasion d’entendre la chanson fétiche La Mi-carême composée en 1987 par l’Acadienne Luce-Ethel Aucoin dont la conclusion est : « faut pas abandonner de fêter l’occasion, maman. C’est comme ça qu’s’spass’ du Moine à Chéticamp, Maman ».
Image d'en-tête : Entrée du Centre de la Mi-Carême (avec l'autorisation du Centre de la Mi-carême).
Barbara LeBlanc & Claude Ader-Martin
Barbara LeBlanc : « La Mi-carême au musée : un exemple de collaboration communautaire et de célébration culturelle ». (Publication du CEFAN, Université Laval. Québec)
Georges Arsenault : Mi-carême en Acadie. Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française.