En visite en 2012 sur le campus de Saint-Joseph du Moine dans le bureau de Barbara LeBlanc, professeure à l'Université Sainte-Anne en Nouvelle-Ecosse, j'ai naïvement posé la question de savoir s'il était facile pour un enseignant de faire cours à distance et comment un professeur pouvait s'assurer de l'attention d'élèves assis à 600 km de là. La Covid n'étant pas à cette époque même du domaine de l'imaginaire, les Français étaient alors assez peu au fait du télé-enseignement. La réponse fut claire. Pour la technique, ça s'apprenait. Pour le reste, l'enseignement n'étant pas gratuit, les étudiants étaient naturellement portés à l'attention, ne souhaitant pas perdre stupidement l'argent souvent durement gagné pendant les vacances pour assurer leurs frais de scolarité. J'ai su que j'avais affaire à un esprit pragmatique ! Ce que j'ignorais encore était que la professeure qui était devant moi ne rechignait pas à joindre le geste à la parole devant ses écrans, voire à illustrer ses propos d'un pas de danse tout droit venu de ses notions de taï-chi ou de ses ancêtres d'Acadie. Et j'étais loin d'être au bout de mes surprises !
Le temps a passé. Barbara est devenue "référente" de notre association pour ce qui concerne la francophonie néo-écossaise. Nous avons continué d'échanger par delà l'Atlantique avec celle qui s'était donné comme mission en plus de son travail, de veiller sur une maman qui bien qu'ayant passé le cap des 90 ans était une mordue du "200", jeu de cartes dont je n'ai jamais entendu parler que chez les Acadiens et où j'ai été toujours perdante ! Notre séjour fut l'occasion de découvrir le tout nouveau Centre de la Mi-Carême construit avec des fonds fédéraux destinés à soutenir un projet de diversification économique suite à l'arrêt de la pêche à la morue dans cette région du Canada. Les habitants s'étant massivement prononcés pour une structure culturelle et touristique, c'est autour d'un centre d'interprétation de la culture acadienne que le complexe vit le jour au Havre de Grand Etang : Ateliers de masques, technique des tapis"hookés", ateliers de danses, contes, veillées à thème. Parmi les concepteurs, Barbara, ethnologue versée dans les danses traditionnelles et l'expression corporelle comme media d'apprentissage ou de réappropriation de la culture. Elle m'expliqua un jour incidemment que la danse et le théâtre étaient pour elle des fondamentaux qu'elle avait toujours portés en elle et commencé à mettre en pratique à l'université lorsqu'elle participait à un programme d'études théâtrales, puis en Europe où, boursière de la Fondation Cini *elle fut intégrée comme petite main dans la troupe de l'écrivain et dramaturge italien Dario Fo ** dont elle bénéficia des conseils et lui permit en même temps découvrir in vivo la réalité politique italienne des années 70. Effervescence qui devait bien convenir à cette nature bouillonnante, ouverte à la nouveauté et qui n'a jamais rechigné à mettre la main à la pâte, au propre comme au figuré. Il faut la voir dans sa cuisine tenter des alliances gustatives originales et parfois surprenantes !
Tour du monde en immersion culturelle
Ajoutant le volet tourisme culturel aux volets théâtre et danse, Barbara a vécu et travaillé en France d'où ces ancêtres sont originaires, pour certains du côté de la Bretagne. Il ne s'agissait pas pour elle de faire un séjour d'agrément mais bien de s'imprégner de la manière de vivre locale de manière mieux appréhender la culture du pays. Guide à Londres ou à Paris, vendeuse au Grand Bazar d'Istanbul, bénévole dans un orphelinat au Mexique, elle a alterné études avec mises en pratiques, apprentissages de langues pour les besoins de la cause, mais c'est bien l'Italie qui l'a fait évoluer vers ce qu'elle est devenue. Un oncle décédé au combat à la Bataille de Monte Cassino qui repose à Caserte, un amour de jeunesse qui lui donne à jamais le goût du bon vin et celui de la Comedia Dell'arte, une sensibilité de gauche qui la pousse à venir en aide à son prochain et qui finira par lui faire retrouver ses racines acadiennes : A la fin de ses études interminables qui lui font faire le tour de la planète- elle danse en Inde, en Chine et au Sri Lanka- elle devient guide culturelle au Québec, mais c'est vers une structure d'accueil de jeunes déficients mentaux à Sydney qu'elle se tourne avant d'être embauchée comme directrice du Lieu Historique National de Grand Pré, haut lieu de la commémoration de la déportation des Acadiens. La famille d'un de ses ascendants Jacques LeBlanc fit d'ailleurs partie d'un convoi de déportés vers le Massachusetts, d'autres furent envoyés vers l'Angleterre avant d'être ( mal) accueillis du côté de Saint Malo avant de revenir vers le Canada par l'entremise de la compagnie des frères Robin alors installée à Chéticamp. Signe du destin. Commence alors un travail de recherche et de mémoire sur tout le peuple acadien, son histoire, sa culture, porté par la volonté farouche de faire savoir. La boucle est bouclée lorsqu'elle est nommée professeure à l'Université de Sainte-Anne et qu'elle initie une collaboration avec Grand Pré qui débouche sur de multiples projets basés sur l'écriture, le théâtre et la danse. Son parcours vient de faire l'objet d'un livre "Voyage à travers la vie de Barbara LeBlanc"***, série d'entretiens avec Mireille Baulu-MacWillie. On y apprend comment une petite Acadienne qui un jour avait coupé son lit en deux pour obtenir des lits jumeaux considérés comme plus esthétiques, a puisé dans ses racines pour devenir citoyenne du monde.
Claude Ader-Martin
*La Fondation installée sur l'île de San Giorgio Maggiore spécialisée dans l'étude de la civilisation vénitienne accueille des programmes d'études et des expositions.
**Prix Nobel de littérature en 1997
***Les éditions de la francophonie : www.editionsfrancophonie.com