En descendant un jour à pied de l'Université de Montréal jusqu'au centre ville, j'ai fait halte dans un petit square joliment arboré qui porte le nom de Parc De Sousa Mendes pour y découvrir fort étonnée, une plaque commémorative rendant hommage à un héros portugais vivant à Bordeaux, ma ville, à l'aube de la Seconde guerre Mondiale. Ses exploits sont restés plus longtemps méconnus dans la cité où il les a accomplis qu'en Amérique du nord où des descendants de la communauté juive new yorkaise ont officiellement reconnu son action à la fin des années soixante. Au Québec cependant, il a fallu la découverte d'une mystérieuse valise verte dans un sous sol de Montréal en 2007 pour que les preuves d'un exil commencé à Bordeaux en Juin 1940 remettent en lumière l'acte héroïque d'un Consul du Portugal qui a préféré obéir à sa conscience plutôt que de se plier à des ordres qu'il considérait comme iniques.
Geste humanitaire
Mai 1940. Les troupes allemandes envahissent la France. C'est "l'Exode" qui jette sur les routes des centaines de milliers de réfugiés venant du nord de la France, de la Belgique et des Pays-Bas fuyant l'avance nazie. Pour certains, en particulier des Juifs, il s'agit de quitter l'Europe pour trouver refuge au Nouveau Monde et y commencer une nouvelle vie. Lisbonne devient une des rares portes de sortie de l'Europe occupée. Reste aux fugitifs à traverser l'Espagne munis d'un visa d'entrée au Portugal. Mais le général Franco qui a été aidé par Hitler durant la guerre d'Espagne ne veut pas sur son territoire de gens qui fuient le nazisme. Il laisse seulement passer ceux qui vont au Portugal. La ville de Bordeaux qui compte environ 300.000 habitants et à laquelle on n'accède que par un seul pont sur la Garonne voit sa population quadrupler en quelques semaines. Il n'y a plus de chambres dans les hôtels, les structures d'aide et d'accueil sont débordées, on campe sur les places publiques... Au Consulat du Portugal, les candidats à l'exil qui dorment jusque dans les escaliers, se pressent pour obtenir leurs visas. Le Consul Aristides De Sousa Mendes père de 13 enfants est en poste à Bordeaux depuis 1938, arrivant d' Anvers où en tant que Doyen du Corps Diplomatique il a été fortement sensibilisé aux difficultés rencontrés par les Juifs en Allemagne et qui n'ignore rien de la situation dramatique des Juifs polonais dont les problèmes lui ont été amplement racontés par son propre frère Cesar, Ambassadeur du Portugal à Varsovie.
C'est ainsi que le jour même où le Maréchal Pétain demande l'Armistice ( 17 juin 1940) et que le gouvernement français commence son repli vers Bordeaux, bravant les ordres du Dictateur Salazar qui se déclare neutre dans le conflit et lui reproche à ce titre "des concessions abusives de visas sur des passeports d'étrangers" * il se met à délivrer, entre le 17 et le 26 juin, à Bordeaux mais aussi à Bayonne, le plus grand nombre possible de visas avant d'aider lui-même un convoi à passer la frontière espagnole dans une zone peu contrôlée par l'armée allemande. Rappelé au Portugal pour y être destitué début juillet 1940, il y mourra en paria et dans la misère quatorze ans plus tard. L'Histoire retient qu'il aurait sauvé presque 30.000 personnes.
Nouvelles vies
Parmi les exilés qui cherchent refuge de l'autre côté de l'Atlantique, des artistes parmi lesquels Salvador Dali et son épouse Gala, des journalistes comme Pierre Lazareff, sa femme Hélène, leur fille et son frère Roger, plusieurs membres de la famille de Rothschild, des têtes couronnées telle la Grande Duchesse du Luxembourg **, et des milliers d'anonymes par familles entières. Parmi ceux ci, Jacob Lotenberg qui obtiendra un visa familial le 21 juin 1940 à Bayonne et dont la fille découvrira en 2007, avec la fameuse valise verte dans la cave de la maison familiale de Montréal, le passé caché de ce père qu'elle avait très peu connu. Jacob né en Pologne s'était réfugié à Paris au début des années 1930. Il y avait femme et enfant avant que poussé par l'urgence il décide de s'expatrier une nouvelle fois. Du Portugal, la famille émigrera en ordre dispersé. Son épouse et sa fille de 4 ans vers Rio de Janeiro, puis la Louisiane, lui vers New York en 1941 puis Montréal, devenant ensuite citoyen canadien sous le nom de Jacques Lotey et fondant une nouvelle famille au Québec. Suite à la découverte de la valise contenant les preuves du passé de Jacques Lotey, la fille qu'il eut à Montréal rejoindra la cohorte des descendants des réfugiés souvent de confession juive, ayant obtenu le précieux sésame des mains du Consul De Sousa Mendes. Dès la fin des années soixante Yad Vashem, organisme pour le souvenir des martyrs et des héros de l'Holocauste lui rend hommage mais la censure du gouvernement de Salazar s'oppose à ce que la nouvelle soit divulguée par la presse portugaise. Une première cérémonie a lieu au Consulat général d'Israel à New York le 9 octobre 1967, les descendants américains d'Aristides mort en 1954 recevant en son nom la médaille d'or de "Juste des Nations". Suivront les reconnaissances officielles au Canada, au Brésil, en France et enfin au Portugal en 1988 où la mémoire du Consul De Sousa Mendes a fini par être réhabilitée, non sans mal.
Des Sousa-Mendes au Québec
Dès le début de la guerre, les fils ainés d'Aristides de Sousa Mendes à l'exception d'un seul qui lui servait de secrétaire avaient été envoyés dans la maison familiale au Portugal et s'étaient ensuite engagés dans les forces de libération. Puis le reste de la famille revint au Portugal sans ressources puisque le Consul avait été frappé d'une interdiction de travailler et tous y attendirent la fin de la guerre et la réintégration de leur père. En vain. Face aux fins de non-recevoir du gouvernement portugais et de l'opprobre dont il était victime, Aristides De Sousa Mendes et sa famille s'enfoncèrent dans la pauvreté. Les enfants quittèrent le Portugal les uns après les autres A la mort de sa mère en 1948, l'avant dernier des enfants, Luis Felipe âgé de 20 ans émigrait vers le Québec." Je suis venu au Canada pour refaire ma vie" témoignait- il en 1987 alors que se préparaient des cérémonies de réintégration posthume de son père à Washington. "Une ancienne connaissance, Monseigneur Parent alors Secrétaire général de l'Université Laval m'offrit son aide pour me permettre de suivre un cours d'ingénieur.(... ) J'ai donc navigué jusqu'à Montréal sur un cargo. Au Canada, je suis devenu ingénieur, je me suis marié et avec mon épouse, j'ai élevé une famille de 3 enfants". On sait que Luis- Felipe a participé à la construction du barrage Daniel Johnson à la fin des années 60. L'histoire ne dit pas s'il rencontra un jour Jacques Lotey. Rien n'est moins sûr. Ce qui est certain , c'est que dans certaines communautés originaires d'Europe du nord et d'Europe centrale du Canada, il se trouve encore un nombre d'anciens pour évoquer la mémoire du Consul lusitanien de Bordeaux que d'aucuns ont surnommé le "Schindler portugais".
Claude Ader-Martin
* Témoignage du Rabbin Kruger
**" Son mérite dans un temps de tragédie et de panique sera toujours rappelé par les réfugiées luxembourgeois, par les membres du gouvernement et ceux de ma propre famille qui ont été sauvés par son initiative d'une persécution certaine" ( témoignage de la Grande Duchesse Charlotte . Juillet 1968.
sources : Fondation Aristides De Sousa Mendes : www.aristidesdesousamendes.com