Ces Français du Canada.

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Laissons passer la colonisation française au Canada des 17e et 18e siècles et son lot de militaires, gens d'église, administrateurs, défricheurs, filles du Roy et engagés. Oublions ceux qui sont partis, ceux qui sont restés et qui ont donné naissance à la population canadienne pour nous intéresser aux immigrants français d'après la Conquête anglaise. Leurs vagues successives se sont suivies sans se ressembler, leur intégration n'a été une évidence à aucune époque et leurs motivations paraissent éloignées de la pérennisation de la langue française.

Engouement pour l'Ouest à la fin du 19e siècle

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Affiche 1890 (Coll. Bib.Archives Canada)

Entre la Conquête anglaise et le milieu du 19e siècle, peu de Français s'installent au Canada. L'émigration n'est pas encouragée en France et la couronne britannique qui vise à peupler le Canada de sujets anglophones et protestants n'est guère encline à favoriser l'installation de Français sur un territoire dont les habitants francophones ne lui sont pas forcément favorables.

Arrive cependant à la fin du 18e siècle, un petit courant migratoire constitué d'émigrés français de la Révolution réfugiés en Angleterre et à partir des années 1840 de religieux venus grossir les rangs du clergé catholique canadien. Ceux-ci contribuent à attirer des familles d'immigrants, artisans, ouvriers, agriculteurs mais aussi aussi membres de professions libérales et enseignants. Ils s'installent majoritairement au Bas Canada soit le Québec d'aujourd'hui.

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Colonisation des Prairies

Après la création de la Confédération canadienne, le gouvernement fédéral fait de l'immigration un élément de développement économique et ouvre ses territoires de l'Ouest à la colonisation. On estime à 30 000, le nombre d'immigrants français arrivant au Canada entre 1881 et 1914 sous l'impulsion d'agents d'immigration canadiens installés en France et de prêtres qui s'impliquent dans le recrutement d'immigrants catholiques. Ce sont essentiellement des agriculteurs attirés par les plaines de l'Ouest. Encadrés par des religieux et des aristocrates français, ils se constituent en communautés rurales dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Les lois françaises de séparation de l'Eglise et de l'Etat au début du 20e siècle amènent 2 000 religieux à s'expatrier entre 1900 et 1914, accentuant ce mouvement migratoire brutalement interrompu par le déclenchement de la Première guerre mondiale. Le rappel des réservistes sous les drapeaux entraine le retour de 5 000 Français dont bon nombre ne reviendront pas. L'incitation à émigrer disparaît dans une France affaiblie par les pertes de la Grande Guerre tandis que les communautés des grandes plaines de l'Ouest disparaissent peu à peu. De 25 000 personnes en 1914, la communauté française descend à 14 000 en 1940.

Le Québec d'abord

De 1945 à 1960, 40 000 Français arrivent au Canada. Les conditions d'immigration des Français ont changé, le gouvernement fédéral ayant mis cette catégorie à égalité d'accès avec les sujets britanniques et américains. Ils ne représentent pourtant que 2% des 2 millions d'immigrants qui rentrent au Canada à la même époque. Une des raisons probables est la restriction sévère imposée par le gouvernement français sur le montant des sommes que les immigrants peuvent sortir du pays. Cette vague migratoire s'installe majoritairement au Québec et dans une moindre mesure en Ontario. Entre 1960 et 1970, le rythme atteint un sommet avec près de 8 000 immigrants français l'année de l'Exposition Universelle de Montréal en 1967. En 1981, le nombre total de Français au Canada s'établit à 56 000. Ils sont répartis dans une proportion qui n'a guère changé aujourd'hui : 2/3 au Québec, 17% en Ontario et 15% sur la côte ouest.

Intégration parfois délicate

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Raymond Denis et son épouse en 1915 (Col.SH Saskatchewan)

Les historiens nous montrent, Yves Frenette en tête, que si l'immigration française au Canada n'a pas eu d'effet démographique significatif, elle n'a pas eu non plus d'impact majeur sur la francophonie canadienne si l'on excepte l'épisode migratoire vers l'Ouest du début du 20e siècle. L'intégration des arrivants français s'est avérée délicate et parfois conflictuelle, les Français tentant de reproduire leur façon d'être, les Canadiens francophones refusant des attitudes perçues comme autoritaires voire colonialistes. Jusqu'à la Seconde guerre mondiale, des dissensions apparaissent entre ecclésiastiques français et canadiens-français, certains d'entre eux redoutant que les Français fassent l'objet de préférence dans l'attribution des postes administratifs importants. Le clergé canadien montre également une certaine méfiance vis-à-vis des immigrants réputés moins dociles et plus libre-penseurs qui affichent trop souvent leur indépendance vis-à-vis de leurs chefs spirituels. Créateurs de journaux d'expression française, s'impliquant au sein de sociétés de bienfaisance, associations culturelles ou chambres de commerce françaises qu'ils ont créées, certaines immigrants jouent un rôle dans les luttes identitaires des francophones canadiens. Tel est le cas du Charentais, Raymond Denis arrivé en 1904 dans les plaines de l'Ouest, fort impliqué dans la lutte linguistique pour la préservation du français, en butte aux critiques des Canadiens francophones lorsqu'il se présente en 1923 à la présidence de l'association catholique franco-canadienne qu'il avait contribué à créer dix ans plus tôt! Au fur et à mesure qu'avancent les années, les Français sont priés de savoir rester à leur place ...

Recherche du bien vivre

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En 2018, 13% de la population francophone CA est retraitée.

Ce phénomène d'attirance-répulsion encore perceptible aujourd'hui s'est manifesté également à l'égard des dernières générations d'immigrants français notamment dans les milieux de l'art, du spectacle ou de l'enseignement. L'intégration avec les Canadiens francophones n'est pas une évidence même quand on partage la même langue.
Les migrants français de ce début de siècle ne sont guère différents de ceux du siècle dernier dans la mesure où ils viennent chercher au Canada une vie meilleure. Une étude de l'Observatoire de l'Expatriation indique qu'une des valeurs principales mises en avant par les 100 000 Français aujourd'hui installés au Canada, est celle de "l'épanouissement". C'est pourquoi en dehors de toute considération de pérennisation de la langue qu'ils partagent avec les francophones canadiens, une bonne partie des Français envoie ses enfants dans des écoles de langue anglaise de manière à leur assurer un meilleur accès au monde du travail. Quant aux conditions d'entrée sur le territoire canadien, elles relèvent, comme par le passé et pour tous les candidats à l'immigration, des besoins et de la seule volonté du gouvernement en place

Claude Ader-Martin

Sources :

  • L'Apport des immigrants français aux francophonies canadiennes. Yves Frenette . Erudit-Univ. Montréal, Univ. Laval, Univ. du Québec à Montréal.
  • Quatre siècles d'immigration française au Canada. Paul-André Linteau . Presses Univ. de Montréal. OpenEdition Books
  • Un siècle d'immigration française au Canada (1881-1980). Bernard Pénisson. Revue Européenne des Migrations Internationales, 1986/2-2, vol 2, pp.11-125.

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