Depuis 2 ans, l’association www.aqaf.eu , organise des balades découvertes sur le thème de la Louisiane au pays des vins de Bordeaux. En 2015, c’était sur les pas de François Seignouret, dans la quartier des Chartrons, autour du cours Xavier Arnozan : sa salle de spectacle privée et son bel hôtel particulier. Dans le vignoble, sa maison natale au Château de Castelneau dans l’Entre-deux-Mers https://www.aqaf.fr/2015/06/un-air-de-louisiane-au-pays-des-vins-de-bordeaux-1ere-partie/
Château La Mission Haut-Brion
Aujourd’hui, nous vous enmenons pour une découverte du Château La Mission Haut-Brion, sur les pas d’un des propriétaires : Célestin Coudrin, ancien régisseur des domaines de Jérôme Chiapella en Louisiane qui devint Chiapella par adoption testamentaire à Bordeaux et acquit la Mission Haut Brion en 1821.
Jérôme Chiapella et Célestin Coudrin : une success story à l’américaine
Né à Nervi près de Gênes en 1743, Jérôme Chiapella, d’origine modeste, s’embarque pour la Louisiane vers 1770 pour tenter d’y faire fortune, à cette époque, la Louisiane était espagnole.
Il choisit de s’installer à la Nouvelle-Orléans sans doute comme négociant dans un premier temps. Ensuite, il achète quelques terres comme tout colon entreprenant, les met en valeur et mène si bien ses affaires qu’il devient très vite un des plus riches propriétaires de la colonie. Le Fonds Don Vincente Sebastien Pintado (Louisiana State Museum) possède plusieurs plans de ses cinq propriétés dont certaines dans la paroisse de St Bernard, à 12 km au sud de la Nouvelle-Orléans, près du lac Maurepas. A la Nouvelle-Orléans, Jérôme est également propriétaire, rue Royale, d’une maison ainsi que d’un grand terrain.
Après la vente de la Louisiane aux Américains, il ne revient pas en Italie, son pays natal mais préfère se fixer en France à Bordeaux pour diverses raisons dont peut-être celle de la liaison maritime Bordeaux et le port de la Nouvelle-Orléans car il a conservé d’importants domaines dont il a confié la gestion à Célestin Coudrin, dont il apprécie la compétence. Une transaction en date du 23 novembre 1818 passée à Bordeaux entre Jérôme Chiapella et Célestin, son adjoint aux affaires, vient préciser les liens qui unissent les deux hommes : elle a pour but de régler la cessation d’activité de la société verbale créée par les deux hommes et de fixer les droits sur les propriétés mobilières l’ayant constituée dont une habitation sucrerie qui revient à Célestin Coudrin.
Sans descendance directe, Jérôme l'a toujours considéré comme son « propre enfant » et lui propose l’adoption sur son testament. La découverte du testament olographe de Jérôme Chiapella rédigé en espagnol et daté du 2 juillet 1806, précise dans son dernier paragraphe « (…) et du reste de tous mes biens, droits et actions qui m’appartiennent (….) tant en cette colonie que hors d’icelle, j’institue et nomme mon unique et universel héritier Monsieur Célestin Coudrin, lui facilitant à raison du grand amour et de la vive tendresse que je lui porte, le moyen de s’approprier mon nom, si cela lui convient (…). ». (1)
Jérôme Chiapella meurt en 1822 et sera inhumé dans le champ commun, selon ses dernières volontés. Ses restes sont transférés en 1850 dans la concession qui porte son nom, au cimetière de la Chartreuse.
Un entrepreneur et un vent de modernité au Château de la Mission Haut-Brion avec Célestin Coudrin Chiapella et ses descendants (1821-1884).
Célestin Coudrin , né à la Nouvelle-Orléans en 1774 et mort à Bordeaux en 1867, est issu d’une famille de colons d’origine poitevine. Régisseur des domaines de Jérôme Chiapella à la Nouvelle-Orléans, il épousera Aimée de la Chaize, fille d' Agathe Lemelle, épouse de Jérôme. Ce mariage ne pouvait que combler le riche colon qui les considérait déjà comme « ses propres enfants ». Las de faire face aux fléaux naturels (inondations, ouragans ...) et à la guerre, Célestin décide de quitter la Nouvelle-Orléans pour s'installer à Bordeaux avec sa nombreuse famille, 8 rue d’Enghien (3). Après son retour en France, il adopte par voie testamentaire, le nom double de « Coudrin Chiapella » puis « Chiapella », nom que portera désormais sa postérité.
C’est avec ce propriétaire que le domaine de la Mission va prendre son nom définitif de Château la Mission Haut-Brion.
Héritier de biens en Louisiane et entreprenant, Célestin Chiapella acquiert la propriété le 5 octobre 1821, pour la somme de 91 100 francs, elle comprend une « maison de maître, logements de cultivateurs, cuvier garni de vaisseaux vinaires, quatre chais, une écurie, une remise, deux grands hangars, jardin et vignes» , le tout de la contenance d’environ 14 ha 59 ares. (2).
Le vignoble, situé sur les communes de Talence et Pessac, doit son nom à une congrégation de lazaristes fondée au XVIIe par Saint-Vincent-de Paul. Ses vins jouissaient déjà d’une excellente renommée et le Maréchal de Richelieu en avait fait son vin de prédilection.
En 1821, un nouvel élan sera donné au vignoble grâce à Chiapella qui ne se contente pas de rénover le vignoble mais aussi d’améliorer la vinification jusqu’à obtenir une production de 35 à 40 tonneaux de vins renommés, une qualité couronnée par la médaille à l’Exposition Universelle de Londres en 1862. Il n’hésitera pas à créer sa propre marque à la Nouvelle-Orléans avec le cachet C.C. , signature de ses vins très prisés dans les salons en vogue des restaurants américains.
Célestin Chiapella meurt en 1867. Un de ses fils, Jérôme-Modeste, également gérant des Châteaux Cos d’Estournel et Pomys à Saint-Estèphe, prendra la direction du domaine qui restera dans la famille jusqu’en 1884.
Une histoire américaine toujours d’actualité avec Domaine Clarence Dillon S.A.
En 1983, Domaine Clarence Dillon S.A., déjà propriétaire de Château Haut-Brion, achète le Château la Mission Haut-Brion aux héritiers Woltner. La présidente en est la Duchesse de Mouchy, fille de Douglas Dillon, ancien ambassadeur en France des Etats-Unis d’Amérique et ancien Secrétaire au Trésor du Président J.-F. Kennedy. Son fils, le Prince Robert de Luxembourg succède à sa mère comme président du Domaine en 2008.
La famille Dillon initiera une seconde Renaissance de cette propriété, notamment avec la création d’un cuvier de haute technologie en 1987 ainsi que d’importantes rénovations du château, de la chapelle et des caves. En 2007, de nouveaux chais et une salle de dégustation sont créés ainsi qu’un cloître
pour l’accueil des visiteurs avant leur entrée dans le chai, véritable cathédrale du vin , en hommage aux prêtres lazaristes.
Une continuité américaine et un clin d’œil à l’histoire pour les grands crus de Bordeaux entre Château Haut-Brion, le vin préféré de Thomas Jefferson et le Château de la Mission Haut-Brion avec sa touche néo-orléanaise, et un avenir bien assuré avec la famille Dillon.
Aujourd’hui, les vins du Château La Mission Haut-Brion, Cru Classé de Graves et Appellation Pessac-Léognan, sont produits sur une surface de 25 ha 44 ares , soit une production moyenne de 78 000 bouteilles. L’encépagement actuel pour le vignoble rouge est de 41% Merlot, 11% Cabernet Franc et 48% Cabernet Sauvignon sur sol de graves.
Une visite et dégustation des vins peut être organisée sur rendez vous auprès de www.mission-haut-brion.com
Anne Marbot
d’après les documents fournis par Alain Puginier, historien et archiviste « Domaine Clarence Dillon SAS.