De la Tour de Broue aux aboiteaux d'Acadie

quebec aqaf

Aux alentours de 1560 naît à Royan celui qui va devenir en 1603 le premier "Lieutenant général des côtes, terres et confins de l'Acadie, du Canada et autres lieux de la Nouvelle-France" selon la volonté royale. Fils d'une famille protestante de Saintonge, Pierre Dugua de Mons, qui a fidèlement combattu aux côtés d'Henri de Navarre durant les guerres de religion, reçoit ainsi sa récompense. L'Acadie, il ne la connait que de nom. En revanche, il a installé en compagnie de François du Pont Gravé pour le compte de Pierre Chauvin de Tonnetuit, riche marchand normand, un comptoir de traite des fourrures à Tadoussac durant l'hiver 1599-1600. La mort de Pierre Chauvin, puis celle de son successeur de Chaste met Dugua de Mons sur le devant de la scène puisqu'il obtient pour une décennie un monopole à condition d'installer 60 colons par an dans une nouvelle colonie.

Château de mons
Vue du château de Mons à Royan, selon Chastillon en 1605 (collection Jacques Daniel)

Ce n'est certainement pas par hasard que Dugua de Mons, délaissant Tadoussac dont le site présente trop de dangers met le cap vers des rivages nettement plus méridionaux. Il s'embarque le 10 avril 1604 sur le Don de Dieu, ayant choisi comme bras droit le jeune géographe Samuel Champlain et se dirige vers le littoral au sud-ouest du Cap-Breton exploré en 1583 par le marchand rouennais Etienne Bellenger (1) spécialisé dans le commerce du poisson et celui des fourrures. Celui-ci a ramené de ses tribulations une étude approfondie des ressources locales de ce coin du monde, de ses richesses minérales entre autres et de la possibilité d'y produire du sel. Tiens donc...

Le Pays de Champlain

Remparts de brouage
Les remparts de Brouage (photo Claude Ader-Martin)

De Mons et Champlain sont voisins...ou presque. Le premier, né à Royan à l'embouchure de la Gironde, parle la même langue que Champlain, baptisé au temple de La Rochelle le 13 août 1574, dont le père fait commerce à Brouage. La petite cité a été fondée en 1555 par Jacques de Pons, propriétaire du château de Broue dont ne subsiste aujourd'hui qu'un donjon en ruine. Brouage est alors un port qui vit au rythme des marées de l'Atlantique. A son apogée, quatre mille personnes y cohabitent dans la plus grande promiscuité sur un territoire de moins de 3 km2 : marchands surveillant du haut des remparts l'embarquement du sel ou le débarquement des fourrures, boutiquiers, marins, taverniers, aventuriers...

Marais salants de mornac
Les marais salants de Mornac sur Seudre (auteur Thierry Avan, autorisation Destination Royan-Atlantique)

Le paysage des aboiteaux d'Acadie ressemble étrangement à celui des marais qui bordent aujourd'hui la commune de Hiers-Brouage ou l'embouchure de la Seudre, quadrillages cristallins des anciennes salines lentement transformées en vasières et en prairies nourricières au fil du temps. Ici, les conquêtes de César ont amené un savoir-faire appelé briquetage, technique reposant sur l'utilisation d'un réservoir façonné dans l'argile qui sert de bassin d'évaporation et ce faisant, contribue à l'émergence du sel. Dès l'époque mérovingienne, celui qui a le sel a l'argent. Seul moyen de conservation jusqu'à l'invention de la pasteurisation et de la stérilisation, le sel-longtemps monnaie d'échange- a sans doute été la richesse la plus convoitée de tout l'hémisphère nord. C'est dire l'importance des provinces d'Aunis et de Saintonge sur lesquelles s'étendaient le quart des salines de France du haut Moyen-Age jusqu'au 18e siècle.

Draineurs de marais

Habitation de port royal en nouvelle-ecosse
Habitation de Port Royal construite en 1605 (reconstitution) sur le Lieu historique national de Port Royal, Annapolis Royal, Nouvelle-Ecosse (photo Claude Ader-Martin)

Selon Marc Lavoie de l'Université Sainte-Anne dans un article publié par le consortium universitaire Erudit (2), il est tout à fait possible que les explorateurs et les bailleurs de fonds du début du 17e siècle aient entendu parler des découvertes d'Etienne Bellenger via le marchand malouin Sarcel de Prévert qui en aurait fait état à De Mons. Certains historiens avancent même que Prévert aurait été du nombre des associés de la première Compagnie commerciale fondée par Dugua de Mons. Ce dernier, qui avait financé une partie de son voyage grâce à la vente de salines dans la région de Saint-Sornin, se serait tourné, après l'échec de l'installation sur l'île Sainte-Croix, vers une zone humide drainée par les grandes marées de la Baie Française pour fonder sa colonie. Il faut cependant attendre une trentaine d'années encore pour que la colonie s'installe durablement. Parmi les nouveaux colons figurent des sauniers originaires des îles de Ré, d'Oléron et du village de Marennes proche de Brouage, des "engagés" dont les contrats précisent que certains sont " bâtisseurs de maris salants". Ceux-là comprennent vite que les conditions climatiques ne sont pas favorables à la production de sel mais leurs connaissances en techniques d'assèchement leur permettent de rendre fertiles des terres inondables à chaque marée.

Aboiteau le long de la rivière petitcodiac
Aboiteau le long de la rivière Petitcodiac à Memramcook, au Nouveau-Brunswick (auteur GilCor84, licence CC BY-SA 4.0)

Ils y parviennent grâce à la construction de digues qui permettent à l'eau douce de s'écouler et empêchent l'eau de mer d'entrer au moyen d'un clapet appelé aboiteau. Il faut en moyenne deux ans pour pouvoir mettre les terres en culture mais le travail est fait collectivement et plusieurs familles peuvent se partager l'exploitation d'un seul marais. On y produit du blé, des céréales, des arbres fruitiers, on y pratique l'élevage. Ayant investi la quasi-totalité des marais, s'étalant progressivement le long de la baie de Fundy, les Acadiens assurent la solidité d'une population qui croit très régulièrement jusqu'au Grand Dérangement. La déportation porte un coup d'arrêt à l'augmentation des terres cultivables et les colons britanniques qui succèdent aux Acadiens n'auront pas le savoir nécessaire pour continuer d'assécher les terres inondables. Cependant, les historiens notent que l'expertise acadienne a été de nouveau recherchée à la fin du 17e siècle et au 19e siècle dans toutes les provinces maritimes.

Actuel château de mons
Résidence du château de Mons à Royan (source www.logement-seniors.com)

Aujourd'hui, les aboiteaux acadiens de la baie de Fundy se visitent comme un patrimoine exceptionnel de l'exploitation de ces marais qui restent les terres les plus fertiles de l'ancienne Acadie. Quant au château de Mons, tour à tour lieu de résidence, puis de villégiature, rebâti au 18e siècle selon l'architecture saintongeaise de l'époque, devenu école au 19e siècle, il abrite dorénavant une maison de retraite dans un des beaux quartiers de Royan.

Photo à la Une : La tour de Broue, vestige du château de Jacques de Pons, à Saint-Sornin, en Charente Maritime (auteur Cobber17, licence CC BY-SA 3.0).

Claude Ader-Martin

Sources

(1) Dictionnaire biographique du Canada. Bellenger Etienne ( Stephen Bellenger).

(2) Les aboiteaux acadiens : origines, controverses et ambiguïtés par Marc Lavoie dans Port Acadie, revue interdisciplinaire en études acadiennes. Numéros 13-14-15 https : //www.erudit.org

Se rapprocher

Amateurs et curieux, contributeurs, mécènes (...) la culture Francophone France/Amérique du nord vous intéresse ?
Prendre contact
Passionnés par la francophonie des Amériques et la Nouvelle-Aquitaine, nous aimons partager une histoire et une culture commune, susciter des rencontres conviviales autour de la langue, la musique, la gastronomie et le tourisme.
2021, AQAF - Tous droits réservés - mentions légales
contact
userscrossmenu-circle