Des ursulines de Beaulieu au Nouveau Monde en 1845.

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Quartier français à NOLA

Très présent dans l'éducation des jeunes filles du Nouveau Monde, l'ordre des Ursulines s'est implanté à Québec en 1639 et à la Nouvelle-Orléans en 1726. L'historien Frédéric Le Hech nous invite à découvrir l'épopée des ursulines de Beaulieu-sur-Dordogne et pour certaines, leur départ en 1845 pour Brown County (Ohio) et plus tard en 1861, Opelousas (Louisiane), une histoire en construction au gré des archives disponibles... mais qui s'insère dans notre thématique parcours de mémoire Nouvelle-Aquitaine et Amérique du Nord Francophone.

Contexte géographique et historique

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Beaulieu-sur-Dordogne est une commune de l'extrême sud du département de la Corrèze (1), aux confins du Quercy, du Périgord et de l'Auvergne. La ville, environ 2 000 habitants au 16e siècle, passe majoritairement au protestantisme, alors que le Limousin est resté largement catholique. La contre-réforme menée par les évêques de Limoges successifs -Raymond de la Marthonie et François de la Fayette particulièrement- bien que tardive à partir des années 1620, y est puissante, active et efficace pour faire reculer le calvinisme. Beaulieu représente bien un enjeu religieux, car c’est un petit centre urbain, qui plus est doté d’un monastère bénédictin médiéval en voie de décadence.

La reconquête catholique s’exprime puissamment. Une mission de deux jésuites détachés du collège de Tulle en 1620 devient ensuite une résidence ; une confrérie des pénitents bleus fondée en 1629 assure un encadrement spirituel des laïcs ; l’abbaye est enfin redressée grâce à l’arrivée de quatre moines mauristes en 1663. Un groupe de sœurs ursulines dirigées par la Mère Antoinette Micolon (Colombe du Saint-Esprit) arrive également de Tulle en 1632 pour établir un couvent féminin à Beaulieu.

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Installé dans le quartier de La Grave, l’enclos des ursulines occupe un vaste espace compris entre la rue Saint-Roch actuelle, un bras de la Dordogne et le boulevard (emplacement de la maison de retraite aujourd’hui). Le couvent prospère rapidement et il est encore florissant lorsqu’éclate la Révolution. 26 religieuses y vivent en effet en 1789 et elles délivrent un enseignement à de nombreuses filles de la noblesse et de la bourgeoisie qui se consacrent à une vie religieuse au sein de leur pensionnat payant. Elles jouent aussi un rôle d’encadrement social et spirituel dans la cité, puisqu’elles disposent de trois classes gratuites pour les filles de la ville, donc des catégories populaires, représentant peut-être une centaine d’élèves. L’alphabétisation féminine a d’ailleurs bien progressé sous leur impulsion ; avec 24% de femmes qui savent signer en 1789, Beaulieu reste certes en dessous de la moyenne française (27%), mais il se situe largement au-dessus de la moyenne régionale et le retard sur les hommes s’est beaucoup réduit en un siècle.

L’hostilité affichée des religieuses face aux révolutionnaires, notamment par le refus de reconnaître le prêtre jureur en 1791, conduit la communauté dans une impasse en envenimant la querelle avec l’administration. Le directoire du département décide finalement de « vider la maison » manu militari et les sœurs finissent par se disperser.

La renaissance des ursulines de Beaulieu

L’initiative de relancer le couvent revient à deux sœurs de sang et de religion, Marguerite Albert dite sœur Ste-Claire et Antoinette Albert dite sœur St-Michel. Originaires de la bourgeoisie bellocoise, novices en 1789, elles sont restées à Beaulieu sous la Révolution ; elles ont même été emprisonnées quelques temps. Une véritable mythologie locale a d’ailleurs prospéré sur leur prétendu sauvetage rocambolesque des reliques et du trésor de l’abbatiale pendant la Terreur.

Ces deux ursulines, rejointes par trois autres venues de Bort-les-Orgues, entreprennent donc de relever le couvent. La période de la Restauration (1815-1830) s’avère propice, notamment avec l’ordonnance de 1825 du roi Charles X qui autorise l’enseignement par les congrégations féminines ; de plus, le ministère « des affaires ecclésiastiques et de l'instruction publique » revient, au sein du gouvernement Ultra, à un prélat : Mgr Denis Frayssinous (1824-1827). Les soeurs peuvent enfin compter sur le soutien local de l’évêque de Tulle, Augustin Mailhet de Vachères (1825-42).

Cependant, retrouver leur ancien enclos paraît impossible. Transformé en bien national à la Révolution, il a été vendu, sans doute en plusieurs lots, le principal acquéreur étant l’ex-notaire et maire éphémère en 1793-1794 Jean-Michel Oubrayrie. A sa mort en 1825, ce dernier lègue les bâtiments et le jardin à l’administration de l’hospice de Beaulieu, afin d’y transférer l’hôpital et d’y adjoindre une école. Ce legs est accepté par la commune de Beaulieu en 1826 -après autorisation royale- dirigée par le maire Antoine de Costa. Le transfert de l’ancien hôpital médiéval vétuste (situé rue de la Chapelle) dans le quartier de la Grave est effectif en 1829, avec l’arrivée de trois sœurs de Nevers pour le gérer : Alexandrine de Pardailhan supérieure, Angélique Baraillé et Augustine Fracrot. Entre temps, les ursulines bellocoises ont fait des pieds et des mains pour essayer de récupérer tout ou partie de leur ancien enclos, en faisant diverses propositions à la municipalité, toutes rejetées.

Le nouveau couvent s’installe donc à proximité de l’ancien, mais de l’autre côté de la rue Saint-Roch, en remontant le boulevard vers la place Marbot. Une partie des bâtiments préexistait probablement, le reste a dû être construit assez vite, à partir de 1827-1828. L’enclos des ursulines est suffisamment étendu pour contenir, outre les bâtiments conventuels et la chapelle, un pensionnat de plusieurs dizaines d’élèves, un grand et beau jardin, ainsi que deux petites chapelles funéraires. Les vocations se multiplient ; on compte 30 religieuses en 1880 et 40 en 1884. La distribution annuelle des prix en fin de période scolaire paraît un événement important dans la commune, toujours accompagné d’un spectacle très prisé (pièce de théâtre, opérette…) ; les ursulines sont redevenues une institution locale puissante.

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L'essaimage en Amérique

C’est donc dans un contexte florissant qu’a lieu le départ de plusieurs religieuses vers l’horizon lointain des Etats-Unis d’Amérique.

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Evêque Purcell

Il s’agit d’une réponse favorable donnée à la demande de Jean-Baptiste PURCELL (1800-1883), évêque de Cincinnati dans l’Ohio à partir de 1833. Né en Irlande, Purcell émigre aux Etats-Unis pour suivre des études supérieures qui le mènent d’abord à l’enseignement, puis au séminaire. Il parfait son éducation spirituelle au séminaire Saint-Sulpice à Issy, près de Paris, où il est ordonné prêtre en 1826, avant de retourner en Amérique. Au diocèse de Cincinnati, presque tout est à faire (il n’existe que depuis 1821) ; Purcell y fonde successivement un séminaire, un journal catholique, une cathédrale, des orphelinats… Pour le seconder dans cette œuvre missionnaire, Purcell fait venir d’Europe de nombreux religieux.

Il peut compter sur l’appui de deux prêtres auvergnats qui l’ont rejoint et jouent le rôle de véritables agents recruteurs, faisant des allers-retours entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Ce sont le père Joseph Machebeuf (futur premier évêque de Denver au Colorado) et le père Jean-Baptiste Lamy (futur premier évêque de Santa Fe au Nouveau Mexique). Quant à Purcell, il finit sa vie comme archevêque de Cincinnati à partir de 1850, mais ses dernières années sont un peu entachées par un scandale financier dû à son frère.

Une lettre envoyée par Machebeuf à Purcell, datée du 10 avril 1845, nous éclaire sur le recrutement qu’il est en train de finaliser en France. Outre des « prises » déjà conclues -plusieurs sœurs belges de Notre-Dame de Namur, un séminariste de Bordeaux et d’autres prêtres du Massif Central-, le père Machebeuf est en pourparlers avec l’évêque de Tulle Mgr Berteaud -traditionnaliste et ultramontain- pour obtenir un groupe d’ursulines bellocoises ; le prélat traîne un peu les pieds cependant, car il veut garder les deux meilleures religieuses dans son diocèse ! Machebeuf évoque également dans sa missive le souci financier que représente un tel voyage ; il précise que, même s’il a rencontré la reine Marie-Amélie (épouse de Louis-Philippe) pour solliciter une aide de la France, chaque religieuse paiera son billet de bateau.

Finalement, huit religieuses du couvent de Beaulieu, les quatre sœurs ursulines Marie Andiat (sœur St-Pierre), Pauline Laurier (sœur St-Stanislas), Marie Bouret (sœur Ste-Augustine) et Adeline Demotat (sœur Ste-Angèle), accompagnées de quatre converses -les sœurs St-Bernard, Ste-Christine, Ste-Marie et St-Martial- gagnent le port du Havre où trois ursulines de Boulogne-sur-Mer les rejoignent pour embarquer.

On ne dispose pas d’informations sur la traversée, qui dure 14 jours environ, ni sur le type de bateau utilisé ; ce voyage se situe en effet à la charnière de l’utilisation des paquebots à voiles et des premiers paquebots à vapeur sur cette ligne Le Havre-New York. Le navire accoste à New York le 12 juin 1845. Il faut donc imaginer l’impression qu’a pu faire l’arrivée au Nouveau Monde sur ces filles venues de Corrèze, n’ayant pour certaines jamais dépassé les limites de leur département et encore moins de leur pays… L’itinéraire se poursuit ensuite en diligence, avec une arrivée à Saint-Martin le 21 juillet 1845.

A une cinquantaine de kilomètres à l’est de Cincinnati, à l’extrême sud de l’Etat de l’Ohio, Saint-Martin est alors un village de colons français et irlandais (il compte aujourd’hui moins de 200 habitants). Il fait partie du Comté de Brown (Brown County, fondé en 1819 avec pour siège Georgetown, village de 600 habitants vers 1850 et 4 000 aujourd’hui). C’est une zone encore largement pionnière. Les ursulines sont chargées d’y édifier une école et un couvent. L’école ouvre dès octobre 1845, dans un bâtiment utilisé jusque-là comme séminaire, puis le couvent et son pensionnat sont construits rapidement (1847), avec une aide financière de la France ; une chapelle est ensuite bâtie.

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La direction de la communauté est confiée à la Boulonnaise Julia Chatfield (1809-1878), sœur de l’Assomption en religion. De naissance anglaise, elle maîtrise cette langue, ce qui est un atout indéniable. On peut d’ailleurs penser qu’elle a aussi instruit, durant le long voyage, ses sœurs bellocoises aux rudiments de l’Anglais. Le pensionnat de Saint-Martin est resté sous la gestion des ursulines jusqu’en 1981. Cinq religieuses vivent encore dans le couvent actuellement, autant à Cincinnati et quelques autres dans le reste de l’Etat.

L’implantation des ursulines dans l’Ohio a donc été durable ; elle s’inscrit aussi dans différents noms de bâtiments ou d’institutions. L’église de Saint-Martin est titrée de Sainte-Angèle-Merici, fondatrice italienne de l’ordre des ursulines au XVIe siècle. En 1896, a été fondée à Cincinnati une « académie des ursulines » qui existe toujours ; c’est un lycée dont le but est de « nourrir son âme, son intellect, le cœur et l'imagination ». Le Brown County héberge aussi, depuis 1971, le Chatfield College qui est une université privée consacrée aux « arts libéraux » (enseignement général) et à la formation d’enseignants.

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Couvent des Ursulines, Opelousas circa 1850 (Carola's collection).

La communauté des ursulines « françaises » de Saint-Martin, renforcée par les recrutements locaux qui ont dû être nombreux et par l’apport de religieuses venues d’autres Etats comme le Kentucky, a rapidement essaimé dans diverses parties des Etats-Unis. Dès 1857, une fondation sur le même modèle (couvent + école) est réalisée à Springfield, dans l’Etat proche de l’Illinois, puis une autre l’année suivante à Columbia en Caroline du Sud. Un nouvel essaimage se produit en 1861 à Opelousas en Louisiane. Ces deux dernières fondations ont connu des débuts difficiles, à cause de la guerre de Sécession (1861-1865). En 1880, un groupe de neuf sœurs part en train pour fonder un lycée à Santa-Rosa en Californie (50 kilomètres au nord de San Francisco) à l’appel d’un prêtre local ; la gestion de l’établissement est restée aux ursulines jusqu’en 2011. Enfin, un autre groupe, associé à d’autres ursulines venues de différents couvents, s’installe dans le Montana en 1890 pour enseigner aux colons et aux Amérindiens tout juste évangélisés.

On ne dispose malheureusement d’aucune correspondance entre les religieuses étasuniennes issues du couvent de Beaulieu et leur ancienne maison. On aurait pourtant bien aimé mesurer leur ressenti, au moins les premières années… Frustration d’une histoire en construction au gré des archives disponibles.

La fin des ursulines de Beaulieu

Un rapport du préfet de la Corrèze rédigé en 1912 permet de comprendre la façon dont la loi de 1905 a été appliquée au couvent bellocois des ursulines. L’arrêté de fermeture du couvent est daté du 1er septembre 1906 et la plupart des 27 sœurs qui y résidaient se dispersent.

Les biens sont vendus en 13 lots l’année suivante. La « Société Immobilière de Beaulieu », créée pour l’occasion avec des capitaux privés -les principaux actionnaires étant des ecclésiastiques : Mgr Farges et Mlle Charazac ex-ursuline-, en achète quatre (les lots 1-6-7-8). Le but est de continuer à y loger gratuitement cinq ursulines âgées et/ou infirmes, ainsi que leur aumônier Marc Rebière. La récupération des locaux permet également de refonder une école privée, « l’Institut Sévigné », dirigée par Mlle Charazac. Au décès de cette dernière en 1959, les deux dernières ursulines quittent Beaulieu ; Mère Thérèse de l'Enfant Jésus (alors directrice de l'Institut Sévigné) rejoint la communauté de Clermont-Ferrand et Mère Madeleine, âgée, se retire dans sa famille. Un contrat de bail est alors signé entre la Société Immobilière, présidée par le négociant Henri Chapoulart et la Congrégation des sœurs de Saint-André de Peltre (Moselle), puis avec celles de la Miséricorde ; l’école survit une dizaine d’années au départ des ursulines.

Frédéric Le Hech, historien

Conférence donnée dans le cadre de La Fédération Historique de la Corrèze.

Bibliographie de l'auteur

  • Histoire de la Corrèze. Ed. Geste, 2017
  • Je découvre Brive la Gaillarde, Ed. Geste, 2016
  • Brive et le pays de Brive : regards sur le patrimoine. Collectif, ed. Loubatières, 2011
  • Histoire de Beaulieu-sur-Dordogne. Anglais/français, Les Ardents Ed. 2010
  • Histoire de Brive la Gaillarde. Coauteur avec J.M. Valade, Les Ardents Ed. 2007.

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