Le Canada est une fédération de dix provinces et trois territoires ayant chacun ses institutions, son exécutif, son parlement en plus du gouvernement fédéral. S’ajoute à ce fait que certains champs de compétence appartiennent aux provinces, d’autres au territoires, d’autres encore étant partagés entre les deux strates gouvernementales : chevauchement administratif et législatif que les Canadiens connaissent bien mais que nous avons parfois du mal à comprendre, même si en matière de « millefeuilles », nous les Français, sommes servis !
Sur le plan linguistique, le Canada, au contraire de son voisin américain qui a une langue d’usage mais pas de langue officielle au niveau fédéral, a deux langues officielles, celles des deux peuples fondateurs, le français et l’anglais. Cette dualité qui apparait dans l’acte de naissance de la Confédération canadienne en 1867 a été officialisée il y a un demi siècle (1969) lors de la naissance de la Loi sur les langues officielles, loi revue et corrigée 20 ans plus tard. Cette dernière consacre l’égalité de statut du français et de l’anglais dans les institutions fédérales mais aussi dans la société canadienne, donnant à chaque citoyen des « droits » linguistiques, en particulier celui d’être non seulement jugé, mais éduqué et soigné, dans la langue officielle de son choix.
Quant à la répartition entre les locuteurs, on la connait : On compte en gros 3 anglophones pour un francophone, la majorité des francophones vivant au Québec, province officiellement francophone depuis 1977 et au Nouveau-Brunswick , province officiellement bilingue depuis 1969.
Voilà un bel exemple du millefeuille que nous évoquions plus haut. Par ailleurs, le Canada étant un pays d’immigration, nombreux sont les citoyens dont la langue maternelle est autre. Ils parlent la langue qui leur est chère en privé mais doivent pouvoir s’exprimer dans une des deux langues officielles pour s’intégrer à la société canadienne. Mars étant le mois de la francophonie, il nous parait intéressant de faire le point avec Raymond Théberge, Commissaire aux langues officielles depuis janvier 2018.
Avec l’émergence de la Loi sur les langues officielles de 1969 est né le Commissariat aux langues officielles dont le rôle est de promouvoir la loi et surveiller sa mise en œuvre. Médiateur plus que bras armé, il protège les droits linguistiques et fait la promotion des langues officielles au sein de la société canadienne, aide à la résolution des problèmes, enregistre les plaintes et mène des enquêtes.
En 2019-2020 il a enregistré plus de 1300 plaintes, en augmentation de 25% par rapport à l’année précédente, dont plus de la moitié portaient sur les communications avec le public et la prestation des services. Dans son rapport annuel, le Commissaire aux langues officielles souligne la désuétude de la loi, l’insuffisance de promotion des deux langues officielles à l’échelon du Canada et le manque de respect de la loi de la part des institutions fédérales elles-mêmes.
Avant lui, les rapports des différents commissaires en étaient arrivés à la même conclusion , celle de l’inefficacité de l’application de la loi. Quant aux diverses études, elles montrent depuis dix ans le recul de la place du français dans l’espace public y compris dans la province francophone. Comme la loi sur les langues officielles que l’on doit au père de l’actuel Premier ministre Trudeau met sur un pied d’égalité l’anglais et le français comme si les deux langues avaient le même poids, cela revient à ajouter dans la balance des forces égales de part et d’autre, ce qui n’a pas pour effet de gommer les différences … Bref, la question linguistique reste toujours aussi sensible.
Raymond Théberge est le 8ème commissaire aux langues officielles. Franco-manitobain, il est né 5 ans après que sa compatriote Gabrielle Roy ait été couronnée Prix Femina (1). Il a effectué ses études dans des universités anglophones aussi bien que francophones et a enseigné dans les universités francophones de Saint Boniface au Manitoba et de Moncton au Nouveau-Brunswick avant d’embrasser une carrière administrative.
Spécialiste de la francophonie en situation minoritaire, il domine le sujet de la réalité de la francophonie canadienne. Il souligne l’effervescence actuelle au niveau fédéral en matière de réflexion sur la dualité linguistique, le dépôt récent d’un document de réforme de la loi misant sur la protection du français y compris au Québec, les espoirs portés par le prochain Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes en juin 2021, rencontre destinée à créer une meilleure solidarité entre francophones québécois et hors Québec afin de mieux ancrer la place du français au Canada.
Faisant le constat que le nombre de francophones augmente moins vite que la population canadienne dans son ensemble, il reste cependant raisonnablement optimiste face à l’augmentation du nombre des élèves fréquentant les écoles d’immersion, preuve selon lui que le concept de bilinguisme est bien adopté. Reste à chaque génération à s’adapter aux nouveaux défis et à utiliser les géants du web pour renforcer les communautés. Et de se poser la question de l’importance du facteur francophone dans le choix des immigrants.
Faisant référence à ses grands parents arrivés au Canada au début du 20ème siècle, il rappelle que le choix d’émigrer est une raison très personnelle, que les migrants choisissent d’aller là où l’emploi se trouve, en privilégiant les lieux où existent déjà des communautés installées.
Immigrer c’est vivre la confrontation entre un rêve et une réalité. La force du Canada est d’être un pays d’immigration qui réussit à bien intégrer les nouveaux arrivés.
Raymond Théberge
Et de rappeler l’année 1913, année record en terme d’immigration qui vit arriver plus de 400.000 personnes dans l’Ouest. « Aujourd’hui, le nombre absolu de francophones n’est pas ce qu’il était il y a un siècle, les provinces ont eu par le passé des politiques différentes, le Québec est à part, mais il est clair que depuis les évènements de 2018 (2) l’Ontario s’est organisé et le Québec a décidé de revoir ses relations avec les francophones hors Québec, ce qui incite le gouvernement à revoir les programmes ».
Le gouvernement fédéral ira-t il jusqu’à réviser la loi au nom de l’égalité linguistique ? C’est l’histoire qui nous le dira…
Claude Ader-Martin
(1)Gabrielle Roy ( 1909-1983) est née à Saint Boniface. Enseignante, journaliste et auteure, elle fut la première lauréate étrangère du Prix Femina pour « Bonheur d’occasion ». en 1947.
(2)Monsieur Théberge fait référence à la crise politico linguistique déclenchée en Ontario en novembre 2018 suite aux décisions prises par le gouvernement provincial ontarien visant la suppression d’institutions de la minorité franco-ontarienne.