En 1908, année du tricentenaire de la fondation de Québec, le Pape Pie X proclame Saint Jean-Baptiste patron des Canadiens français à la demande de la société Saint Jean-Baptiste. Le pauvre Saint Joseph qui étendait jusqu’alors son aura protectrice sur les descendants de la Nouvelle-France se trouve évincé. Son jour de célébration se trouve être le 19 mars, période de giboulées et de fonte des neiges, moment peu propice aux réjouissances extérieures d’autant qu’il coïncide avec le temps du Carême. Ce choix n’est pas dû au hasard puisque le 24 juin était devenu une fête patriotique à connotation politique dès 1834 au Bas Canada et que celle-ci avait connu un regain de vigueur en 1842 peu après le retour des « patriotes » exilés durant les années qui avaient suivi la première tentative d’indépendance dans les années 1837-1838. Aujourd’hui, si les Canadiens francophones sont toujours attachés à la tradition liée à la Saint Jean-Baptiste, certains -les Québécois- en ont fait leur fête nationale alors que d’autres ont choisi d’autres dates pour célébrer leurs racines françaises.
« D’abord fête des Canadiens français comme on la désignait au départ, elle a été associée à l’identité nationale des Québécois et, malgré sa connotation religieuse, elle a pratiquement toujours eu une dimension politique, au point qu’elle a été le moment privilégié de l’affirmation collective de la nation québécoise », explique Hubert Sacy, notre adhérent et référent à Montréal. « Le point d’orgue aura été atteint le 24 juin 1968, lors de ce que l’on a qualifié de ‘lundi de la matraque’, la police ayant violemment réprimé une manifestation nationaliste. On considère que c’est cet événement qui a marqué la fin de la ‘révolution tranquille’ et le début du mouvement d’indépendance nationale du Québec[1] ».
« De fait, c’est le 11 mai 1977, quelques mois après sa prise du pouvoir que le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque ‘débaptise’ le nom de cette journée pour en faire la Fête nationale du Québec, geste d’affirmation certes, mais aussi geste d’inclusion, puisqu’elle devenait dès lors la fête de tous les Québécois quelle que soit leur origine plutôt que celle des seuls Canadiens français de souche. Il est très difficile de prévoir l’avenir de cette journée qui a représenté tant d’espoirs pour celles et ceux de ma génération. Devenue fête de quartier, familiale et bon enfant, elle a en partie perdu sa dimension politique, même si beaucoup se désolent de la diminution de la ferveur nationaliste. Ils se consolent en se disant qu’après des années de décroissance, la flamme recommence à briller. L’avenir de la Saint Jean-Baptiste sera le reflet de l’évolution de l’identité québécoise ».
Simon Rioux Rivard de l’Université du Québec à Montréal rappelle dans son mémoire de fin d’études sur l’évolution de la Saint Jean-Baptiste en Nouvelle-Angleterre qu’un million de Canadiens francophones ont émigré vers les USA entre 1840 et 1930. Ils y ont créé un réseau institutionnel d’entraide via des sociétés de secours au nombre desquelles la puissante Union Saint Jean-Baptiste d’Amérique (USJBA) fondée en 1900. Laquelle était appuyée par des organes de presse catholiques. Elle a chapeauté des conseils locaux disséminés à travers les « petits Canadas », en se chargeant de mobiliser, stimuler et encadrer les célébrations durant une bonne partie du XXe siècle. Jusqu’au 25 septembre 1975, jour de la première levée du drapeau franco-ontarien à Sudbury qui devient Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes. « Ce jour-là, souligne notre amie Jeannine Ouellette, les activités sont surtout dans les écoles. Les enseignants organisent des tintamarres, des parades, des célébrations, la tour CN et les chutes du Niagara sont illuminés en vert. C’est une journée de reconnaissance de la communauté franco-ontarienne dans tous les domaines : économie, arts, éducation, culture. Cela coïncide avec la Fête du livre à l’échelon de la Province. Le but de cette journée n’est pas de se démarquer de la Saint Jean- Baptiste[2] car cette fête continue d’être célébrée par tous les Franco-Canadiens d’un bout à l’autre du pays ».
C’est ainsi que dans chacune des communautés francophones réparties sur tout le territoire canadien, l’attachement aux racines francophones se célèbre maintenant à des dates souvent en lien avec la première levée du drapeau marquant leur spécifié linguistique : le 17 février au Manitoba depuis 2008 « Journée Louis Riel »[3]. Les Franco-Colombiens s’en tiennent au 21 mars, Journée Internationale de la Francophonie même si la Société Francophone organise toujours des activités spéciales pour le 24 juin « jour très important pour tous les Québécois expatriés en Colombie-Britannique » rappelle Sophie Oliveau-Moore, notre référente sur l’île de Vancouver née en Aquitaine devenue canadienne par amour. N’oublions pas les Francophones de Terre-Neuve et Labrador qui ont, depuis 1987 « leur » fête le 30 mai. Quant aux Acadiens des provinces maritimes du Nouveau Brunswick à la Nouvelle-Ecosse, en passant par l’Île du Prince-Edouard, ils célèbrent leur francophonie souvent bruyamment et très joyeusement chaque 15 août, se souvenant aussi qu’ils furent les premiers à lever leur drapeau tricolore étoilé de jaune en 1884 !
Image d'en-tête : Saint Jean-Baptiste enfant (auteur inconnu). Selon les Evangiles, c'est Saint Jean-Baptiste, son cousin, qui aurait donné le baptême à Jésus.
Claude Ader-Martin
[1] On verra ici la transmission d’une partie des événements à la télévision de Radio-Canada : https://www.youtube.com/watch?v=uk7Qsrm34Bo&t=213s
[2] Film d’Andréanne Germain : https://www.onf.ca/film/pis_nous_autres_dans_tout_ca
[3] Considéré comme le fondateur de la province du Manitoba, Louis Riel a mené des combats contre le gouvernement Canadien pour protéger les droits de la Nation Métisse.