La belle histoire du pouding chômeur

quebec aqaf

En novembre 2007, le quotidien de Montréal Le Devoir a interrogé ses lecteurs pour qu’ils désignent le plat national du Québec. La question a aussi été soumise à six personnalités, dont l’universitaire Jean-Pierre Lemasson, historien et sociologue de l’alimentation, et l’historienne Hélène-Andrée Bizier. Le fameux plat national devait s’ancrer solidement dans la tradition culinaire familiale québécoise, se transmettre de génération en génération et se reproduire sur une base culinaire plus ou moins homogène dans toute la province. Il devait aussi trouver sa place en dehors des ménages, à la carte des restaurants populaires ou plus réputés, dans des versions plus ou moins raffinées. Enfin, il devait se consommer avec plaisir et fierté, devenant même un objet de désir pour les Québécois de retour dans leur pays après un long séjour à l’étranger. De nombreux lecteurs ont participé avec enthousiasme à cette enquête qui a finalement dévoilé, parmi les vingt plats testés, deux vainqueurs : le pâté chinois et le pouding chômeur, ce dernier étant désigné « dessert national » …

Le pâté chinois a fait l’objet d’un précédent article AQAF (L’énigme du pâté chinois) inspiré par les écrits de Jean-Pierre Lemasson. Quant au pouding chômeur, « C'est une invention québécoise qui, comme le pâté chinois, est née dans la nécessité. », précise Hélène-Andrée Bizier, et « … d’une grande modestie, qui exprime sa base populaire. », ajoute Jean-Pierre Lemasson. Le portrait du « dessert national » est donc dessiné. Il est maintenant communément admis que le pouding chômeur est né lors de la Grande Dépression des années 1930. Constitué à l’origine d’ingrédients bon marché (farine, graisse, lait, cassonade), il s’est ensuite amélioré pour devenir un dessert composé d'une pâte à gâteau cuite au four dans un sirop fait de cassonade (ou de sirop d'érable), d'eau et de beurre[1]. Aujourd’hui, les recettes de pouding chômeur sont nombreuses, par exemple celles de Recettes du Québec.

Mais revenons à l’origine de ce dessert national. Si sa base populaire est bien actée, les circonstances de sa naissance restent floues et laissent libre cours à la légende. Et si c’était l’occasion de raconter une belle histoire ?

Monsieur Montréal

Camillien houde
Camillien Houde. Années 1930. P146-2-2-D2-P019. Archives de la Ville de Montréal

Nous sommes dans les années 1930. Le krach boursier de 1929 a frappé l’économie mondiale et provoqué une grave crise économique (Grande Dépression). De nombreux ouvriers des quartiers industriels de Montréal perdent leur emploi. Ils peuvent cependant compter sur le soutien du nouveau maire de Montréal, Camillien Houde, élu une première fois en 1928. Considéré comme un spécialiste des questions ouvrières, apprécié pour sa fougue et son langage populaire, le nouveau maire va s’efforcer de soulager la misère qui sévit à Montréal. Dès 1930, sa politique de grands travaux offre des emplois à de nombreux chômeurs. Lors de son troisième mandat de deux ans, à partir de 1934, il collabore avec la Société de Saint-Vincent de Paul pour continuer à aider les familles défavorisées en finançant l’assistance chômage. C’est dans ce contexte que sa seconde épouse, Georgianna Falardeau, aurait imaginé une recette simple, à partir d’ingrédients bon marché, pour que les femmes d’ouvriers puissent réconforter leur mari congédié avec une bonne dose de cassonade. Le pouding chômeur aurait alors connu un formidable succès populaire.

Comment ne pas être sensible à cette belle histoire, même si elle laisse des questions sans réponse ? Pourquoi les femmes d’ouvriers n’auraient-elles pas imaginé elles-mêmes cette recette ? Et surtout, le pouding chômeur ne serait-il pas tout simplement l’adaptation de techniques culinaires françaises, comme le souligne l’Encyclopédie canadienne ? En tout cas, l’histoire du charismatique maire bienfaiteur de Montréal, surnommé « Monsieur Montréal », valait bien qu’une telle légende reste attachée à la naissance d’un dessert national aussi populaire.

Image d’en-tête : Le pouding chômeur (auteure Geneviève Desroches, licence CC0 1.0).

Jean-Marc Agator

Sources

Bednarz, Nicolas ; Les archives inédites de « Monsieur Montréal », le maire Camillien Houde (1889-1958) ; Archives de Montréal, 2017.

Deglise, Fabien ; Un p’tit dessert... mais pas d’entrée - Le pouding chômeur devient le « dessert national » ; Le Devoir, Montréal, 15 et 16 décembre 2007.


[1] Selon la définition du Grand dictionnaire terminologique du Québec (pouding chômeur).

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