La bonne eau de la forêt

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Elle est là, brillante comme un sou neuf sur la terrasse, à attendre son heure. Sa propriétaire est encore toute étonnée de l'avoir vue arriver en temps et en heure de Boucherville (Québec). Sa marque : Aquatech.BM. "Une expertise reconnue en matière de laveuse pour acériculture...et en plus, ils sont efficaces et sympas...comme des Canadiens" ajoute- t-elle en parlant de ses partenaires en affaire.

Forêt de bouleaux
Forêt de bouleaux (photo Philippe Delas)

Phytobiologiste de formation, Celine Liébaut-Jany s'est lancée dans une reconversion suite à la maladie causée par une méchante tique qui l'a laissée plusieurs années hors des sentiers professionnels classiques. Le temps de réfléchir à un nouveau parcours en accord avec ses convictions profondes. Son rapport à la nature étant une évidence, c'est naturellement vers une formation d'herbaliste qu'elle s'est tournée en 2014 avec la conviction qu'il y avait des réponses à apporter à des consommateurs qui montrent leur attrait pour les plantes médicinales sous forme de tisanes, huiles essentielles et compléments alimentaires dont le marché est en essor. Autour d'elle, la forêt de pins de la lande girondine, trouée de terrains humides piquetés de bouleaux. Leurs propriétaires ne savent généralement que faire de ces arbres, sinon un bois de chauffage, et sont tentés de les remplacer par d'autres espèces comme le peuplier. Mais si la nature met là des bouleaux c'est peut être qu'il y a une raison.... Le bouleau est un arbre pionnier. il colonise les espaces ouverts, c'est le premier arbre à remplacer la végétation basse après un incendie ou un fort coup de vent comme cela a été le cas après les deux grandes tempêtes qui ont traversé l'Europe occidentale les 26, 27 et 28 décembre 1999.

Les vertus naturelles du bouleau

Bouteille en verre
Bouteille en verre d'eau de bouleau (photo Elsa Rochedieu)

En Gironde et dans les Landes où le pin est le chouchou des sylviculteurs, le bouleau apprécie les sols gorgés d'eau. A maturité, son écorce blanche se craquelle et s'épaissit en devenant noirâtre. Imprégnée d'une résine très collante, elle est imperméable autant qu'inflammable et possède des propriétés antibactériennes. Même très humide le bois a un bon pouvoir calorifique, tous les scouts le savent ! Quant à la poix, transformée en goudron, elle a été utilisée par le passé dans le nord de l'Europe comme en Amérique du nord pour étanchéifier les embarcations en bois des peuples autochtones et en Russie on utilise ce goudron végétal comme insecticide. Depuis le Moyen-Age, la sève de bouleau est connue pour soulager bien des maux. Au 12ème siècle, Hildegarde de Bingen y voit un remède aux ulcères. Au 16ème siècle, le botaniste italien Mattioli donne à l'arbre le nom "d'arbre néphrétique" dans la mesure où sa sève tend à réduire les calculs rénaux. Au 19ème siècle, Pierre-François Percy, chirurgien des armées de Napoléon l'utilise pour soigner les maladies rhumatismales. Bien qu'elle ait été utilisée depuis des siècles à des fins médicinales, très peu de recherches ont été effectuées sur le sujet (1) mais la demande est en hausse dans une société qui se détourne de plus en plus des produits industriels pas toujours respectueux de la santé humaine. Après être allés voir du côté de la Lettonie et du Québec, Céline et son mari ont décidé qu'ils allaient faire dans l'eau de bouleau !

Activité respectueuse de l'environnement

Céline liebaut jany au travail
Céline Liébaut-Jany au travail (photo Philippe Delas)

La propriété familiale des Jany compte une centaine de bouleaux parmi trente hectares de pins dans le Sud Gironde à Cabanac et Villagrains. Leur voisin possède un terrain en zone humide planté d'environ 300 bouleaux dont il ne faisait pas grand chose. Un accord de location a été conclu qui permet à Céline et son mari de mener leur projet d'exploitation de sève de bouleau, dans le respect des arbres qui sont laissés en repos deux ou trois ans après chaque récolte. On attend ici le début de la montée de la sève qui devrait se produire dans la quinzaine qui vient. "Nous entaillons environ 70 bouleaux par an, ce qui est très modeste au regard de ce que font nos cousins de la Belle province" raconte Céline Liebaut-Jany. Notre récolte est d'environ 1500 litres de sève qui est vendue fraîche. Nous récoltons directement sur l'arbre dans des dames-jeanne en verre de 5 litres puis nous embouteillons en bouteille de verre d'un litre. Cela rend l'activité plus exigeante sur le plan physique, mais nous pouvons garantir un produit de haute qualité et nous trouvons cela très esthétique. Nous essayons d'avoir le moins d'impact possible sur le milieu : toutes les opérations de collecte sont manuelles et nous nous déplaçons à pied sur la zone pour éviter de dégrader la flore présente d'iris sauvages en début de printemps". C'est dire si l'arrivée de la laveuse de Boucherville va permettre d'alléger les tâches de lavage de la verrerie, chronophages et rudes sur le plan physique, de la période de production. A production locale et encore presque confidentielle, distribution locale via le réseau des magasins Biocoop, pour cette sève fraiche contenant une quinzaine d'acides aminés dont le bétuloside aux propriétés diurétiques et dépuratives et de très nombreux minéraux, calcium, potassium, phosphore, zinc, manganèse fer et lithium entre autres qui en font un détoxifiant et revitalisant. Il parait que plus l'hiver est rude, plus l'arbre est généreux. Ce devrait l'être en 2022.

Avenir prometteur

Bouteille bleue
(photo Alain Soumaillac)

Si la récolte d'eau de bouleau est loin de générer des bénéfices extraordinaires - il faudrait pour cela récolter 6000 litres par an pour en vivre - elle est à classer au nombre des activités de recherche qui pourraient déboucher sur des développements intéressants. Une petite partie de la production est vendue à une société qui fabrique des cosmétiques à Bordeaux (2) et Céline qui a étudié de nombreux documents de la filière acéricole québécoise a lancé depuis l'an dernier une production de sirop de bouleau qui semble prometteuse : A 120 litres de sève pour 1 litre de sirop obtenu, il faudra passer à la vitesse supérieure ou travailler à créer des synergies entre les pouvoirs publics et de jeunes professionnels qui chercheraient de nouveaux débouchés dans des activités proches et respectueuses de la nature. A l'époque où l'on veut interdire - non sans mal - les produits phytosanitaires chimiques nocifs pour la santé de l'homme, elle pense qu'il y aurait peut être aussi à creuser du côté des vertus insecticides du bouleau pour protéger les pinèdes girondines des ravageurs des plantations de résineux en Aquitaine. Avec elle, l'écologie n'est pas un sujet de conversation au quotidien. On la vit.

Claude Ader-Martin

Photo de Une : Libre de droits iStock

(1)Thèse de docteure en pharmacie de Pauline Chalet. Université de Picardie Jules Verne. 09/2016. (2) On The Wild Side Cosmétiques

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