La fondation de l’Acadie par voie de presse

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Une fois n’est pas coutume. C’est un prix littéraire qui est mis à l’honneur ici, non pas à travers les écrivains qu’il a récompensés, mais le personnage du 17e siècle qui l’a inspiré. Théophraste Renaudot, puisque c’est du Renaudot qu’il s’agit, était un médecin ordinaire du roi, né à Loudun (Vienne), fondateur en 1631 de la Gazette, le tout premier journal imprimé en France. Renaudot mettait sa plume au service du roi, en bénéficiant de la protection de Richelieu. On admet ainsi que la création officielle de son journal, la même année, a marqué la naissance de la presse périodique française. Quel rapport avec l’Amérique française, me direz-vous ? Le 16 juillet 1632, paraît en effet une dépêche de la Gazette annonçant un événement fondateur de l’Acadie française. Qu’on ne s’y trompe pas. Si cet événement est remarquable, c’est aussi parce qu’il est l’un des premiers rendus publics par voie de presse…

Vieille ville d'auray
La vieille ville d’Auray d’où est parti Isaac de Razilly en 1632 et où une plaque commémore son expédition (auteur Jean-Christophe Benoist, licence CC BY 4.0)

La dépêche d’Auray

Que dit cette dépêche ? Elle annonce que trois vaisseaux sont partis du port d’Auray (Morbihan), au commencement du mois de juillet 1632, sous les ordres du Commandeur de Razilly. Nommé lieutenant général du roi par la compagnie de la Nouvelle-France (ou des Cent-Associés), Isaac de Razilly est chargé par le roi de reprendre possession de Port-Royal[1] et de faire de l’Acadie une colonie française. Son second est son lieutenant et cousin, Charles de Menou d'Aulnay. La dépêche de la Gazette précise qu’il y avait « trois cent hommes d’élite » à bord. Parmi eux se trouvaient sans doute des marins, des soldats, des artisans et des colons. Comme le stipule la dépêche, l’expédition comportait trois Capucins, venus évangéliser les populations, et bon nombre de gentilhommes. Y avait-il également des femmes et des enfants, comme l’ont suggéré plusieurs auteurs ? Rien ne l’indique ici...

Projetons-nous maintenant en 1638, en Acadie. Charles de Menou d'Aulnay succède à Isaac de Razilly, mort subitement en 1635, et prend le titre de lieutenant général. Il est contraint de partager le gouvernement de l’Acadie et le commerce des fourrures avec son futur grand rival, Charles de Saint-Etienne de La Tour, lieutenant du roi en Acadie depuis 1631. Qu’est devenue la colonisation française ? Pendant trois ans, Razilly avait fait venir régulièrement des familles de colons. Son successeur, Menou d’Aulnay, fait installer, jusqu'à sa mort accidentelle en 1650, une vingtaine de familles en Acadie, ce qui paraît considérable puisqu'il l’a fait par ses propres moyens, sans assistance officielle. C'est grâce à ces deux grands colonisateurs que l’on doit le peuplement initial de l'Acadie française. Doit-on néanmoins sous-estimer le rôle de Charles de La Tour, le concurrent acharné de Menou d’Aulnay, si on se fie à une autre dépêche de la Gazette, véritable petite annonce avant l’heure ?

Une publicité abusive

Théophraste renaudot
Portrait de Théophraste Renaudot (auteur inconnu, domaine public)

Revenons à mars 1633, six mois seulement après que l’expédition d’Isaac de Razilly soit arrivée à La Hève, sur la côte sud de l’actuelle Nouvelle-Ecosse. Razilly entretenait de bonnes relations d’affaires avec La Tour, tout en partageant avec lui le gouvernement de l’Acadie. La Tour avait établi son poste fortifié principal plus au sud-ouest, au cap Nègre (Port La Tour), là où se situe aujourd’hui le Lieu historique national du Canada Fort-St-Louis. Le 6 du mois paraît sous son nom, depuis La Rochelle, la fameuse petite annonce de la Gazette. Que dit-elle ? La Tour distribuera des terres fertiles à tous ceux qui choisiront de s’établir au cap Nègre, où le pays est abondant en oiseaux et animaux de chasse, même en castors, les rivières sont poissonneuses et le service divin est administré par les Capucins ! La dépêche assure par ailleurs que la traversée de l’Océan est rapide et le climat semblable au nôtre. Bien entendu, cette vision idyllique est abusive, voire trompeuse. On sait par exemple que la traite des fourrures était interdite aux colons. Que faut-il comprendre alors ?

La Gazette de Renaudot était une publication hebdomadaire de nouvelles venant de l’étranger et de France, à la fois soutenue et contrôlée par le pouvoir royal. Elle permettait de diffuser efficacement, par la poste royale, les conceptions du pouvoir dans le pays et à l’étranger. Ainsi, l’ambition d’établir de nombreux colons français et catholiques en Nouvelle-France était clairement affichée. Pour autant, la petite annonce de la Gazette a-t-elle produit l’effet escompté ? Tout porte à croire que non. Jusqu’à sa retraite au cap Nègre, vers 1660, l’ambitieux et controversé sieur de La Tour paraît n’avoir joué qu’un rôle marginal dans la colonisation de l’Acadie.

Comme le précise Gervais Carpin, « Il semble bien que La Tour fut un recruteur qui se tenait sur les marges du mouvement colonisateur et, excepté l’annonce parue dans La Gazette de Renaudot, en 1633, on ne trouve aucun indice qui laisserait entendre qu’il participa à un peuplement par des colons. ». En somme, il s’est contenté de recruter des engagés pour ses postes de traite et sa lutte contre Menou d’Aulnay, bien loin de l’état d’esprit colonisateur suggéré par sa publicité abusive.

Image d’en-tête : Musée et phare de Pointe-du-Fort, à La Hève, en Nouvelle-Ecosse, où Isaac de Razilly a débarqué le 8 septembre 1632 et établi son quartier général et la capitale de l’Acadie (auteur Dennis Jarvis, licence CC BY-SA 2.0).

Jean-Marc Agator

Sources

Bibliothèque nationale de France, Gallica ; Les deux dépêches de la Gazette de Renaudot, 1632 (p.282-283), 1633 (p.104).

Carpin, Gervais ; Le Réseau du Canada, Etude du mode migratoire de la France vers la Nouvelle-France (1628-1662) ; Les Editions du Septentrion, Sillery (QC) et Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2001.

MacBeath, George (Isaac de Razilly, Charles de La Tour) et Baudry, René (Charles de Menou d’Aulnay) ; Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté le 30 janvier 2023.


[1] En vertu du traité de Saint-Germain-en-Laye, ratifié en mars 1632, la Grande-Bretagne devait rétrocéder Québec, Port-Royal et Cap-Breton à la France.

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