« Rendez-vous , bœuf bourguignon , art design», ces mots qui font partie de notre vocabulaire sont venus coloniser la langue anglaise au fil des ans et ce, depuis l’époque de Guillaume le Conquérant. Comment les Anglais et les Américains ont-ils absorbé ces mots « made in France » ? Comment la toponymie française aux Etats-Unis se révèle être un véritable livre d’histoire à ciel ouvert des relations franco-américaines ?
Passionné d’étymologie et d’histoire, Anthony Lacoudre (1) nous offre le fruit de dix ans de recherche dans un ouvrage passionnant « L’incroyable histoire des mots français en anglais » ou comment les anglophones parlent français sans le savoir. Il est également l’auteur d’un article sur la toponymie française dans les états américains.
Des deux côtés de l’Atlantique, peu nombreux sont ceux qui savent que plus de la moitié du vocabulaire anglais provient du français et de ses dérivés. Il s’agit d’un phénomène rare d’avoir une langue vivante imprégnée à ce point par une autre langue. Les raisons sont principalement historiques et culturelles. Un petit rappel : en 1066, la conquête normande d’Angleterre par Guillaume le Conquérant va imposer le français comme langue de l’élite et du commerce, la devise « Dieu et mon droit » en est l’expression la plus célèbre. Avec l’absorption de plus de 10 000 mots français, la langue anglaise en sera modifiée fin 14e.
La seconde vague d’importation de mots français se situe à la Renaissance, lorsque le français remplace le latin comme langue universelle. Le saviez-vous ? William Shakespeare était bilingue et contribua à l’importation de nombreux mots français et la création de nouveaux mots anglais. A l’époque, la langue française est parlée dans toutes les cours d’Europe et colonies, son influence s’étend jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale.
L’auteur a enregistré plus de 25 000 mots français sans compter les dérivés en anglais. Tous les secteurs de la vie quotidienne sont concernés : artistique, économique, judiciaire, militaire, politique, scientifique, culinaire… et ces mots sont parfois utilisés dans un contexte différent.
Prenons un exemple avec le mot « president » : le dictionnaire étymologique anglais signale que le mot d’origine française, est intégré dès 1380. Il signifie en Angleterre, celui qui préside un hôpital, une université ou une maison religieuse, peu utilisé en France à cette époque. Puis en 1787, les Américains l’intègrent dans leur constitution alors que la France n’a pas encore de « Président » au sens politique du terme.
Pour en connaître davantage, je vous invite à découvrir la conférence donnée par Anthony Lacoudre à l'Univ. Paris Dauphine d’un point de vue linguistique, le sujet est passionnant. Son analyse va à l'encontre de l'opinion souvent exprimée en France de l'anglais envahissant notre langue.
Dans le cadre de notre association, un autre aspect de la langue nous intéresse : celui de la toponymie française, marqueur de l’histoire de l’Amérique du Nord, plus particulièrement celle de la Nouvelle-France. Ainsi, de nombreux états, comtés, villes et villages, forêts et montagnes, lacs et rivières portent des noms français qui témoignent de cette relation franco-américaine séculaire.
Le premier nom qui vient à l’esprit est évidemment celui de la Louisiane, ainsi nommée en hommage à Louis XIV. Lorsque René-Robert Cavelier de La Salle, premier Européen à descendre le Mississippi jusqu’à son delta, prit possession en janvier 1682 des terres drainées par le fleuve, il le fit au nom du roi de France.
L’Etat du Vermont vient quant à lui du nom « Verd Mont » donné à la région par l’explorateur Samuel de Champlain sur sa carte de 1647. Une racine française traduite par le surnom actuel « the Green Mountain State ».
L’Etat du Maine tient son nom depuis la charte royale accordée par Charles Ier en 1639. Le roi d’Angleterre a-t-il agi ainsi en raison des liens affectifs qu’entretenait son épouse Henriette-Marie de France, avec le comté du Maine, dans l’actuel département de la Sarthe ? Peut-être. Il est certain en tout cas que la jeune reine française a donné son nom à la colonie et futur Etat du Maryland. Une charte reçue par les colons anglais en 1632 en atteste.
L’Etat de l’Illinois correspond au nom donné par les explorateurs français à la tribu indienne de la région, et l’Etat de l’Arkansas vient de la désignation française « Akansea », telle qu’elle apparaît dans le journal de l’explorateur Jacques Marquette datant de 1663, qui devint « Acansa » sur la carte de La Salle quelques années plus tard. De même, l’Etat du Wisconsin vient du nom français « Ouisconsing » donné à la rivière et aux environs par Marquette dans son journal de 1673.
De nombreux comtés fleurent bon la France à travers les Etats-Unis. C’est le cas des comtés de Calumet et de Fond du Lac (Wisconsin), de celui de Lac qui Parle (Minnesota), de Saint-François (Missouri) et dans le Michigan : Saint-Clair, Montmorency et Montcalm, ainsi nommé en l’honneur de Louis-Joseph de Montcalm, général français en Amérique du Nord durant la guerre de Sept Ans.
D’autres exemples comme les comtés de Bonneville et de Nez Perce (Idaho), celui de Grand Isle (Vermont), de Dubois et de Vermillion (Indiana) ou de Luzerne (Pennsylvanie), qui doit son nom au marquis de La Luzerne, ambassadeur de France aux Etats-Unis de 1779 à 1783. Ou encore, le comté d’Hennepin (Minnesota), en référence à l’explorateur et missionnaire Louis Hennepin, ou de Bourbon (Kentucky), en hommage à la famille royale française et bien d'autres.
Parmi les villes à consonance française les plus connues : Bâton-Rouge (Louisiane), Des Moines (Iowa), Montpelier (Vermont), Pierre (Dakota du Sud, d’après l’explorateur Pierre Chouteau), Juneau (Alaska, d’après Joseph Juneau, un prospecteur français du XIXe siècle), Boise (Idaho, du français « boisé »), Saint-Paul (Minnesota, nom donné par le missionnaire français Lucien Galtier en 1841), Montgomery (Alabama), d’après le général anglais Richard Montgomery, de descendance normande.
La Nouvelle-Orléans (d’après le régent Philippe II, duc d’Orléans), Saint-Louis (d’après le roi Louis IX) et Louisville (Kentucky) nommée en 1778 d’après Louis XVI, sont également incontournables. Tout comme Detroit (Michigan), Dubuque (Iowa) d’après l’explorateur Julien Dubuque) et Marquette (Michigan) d’après l’explorateur Jacques Marquette. D’autres exemples avec Terre Haute (Indiana), Havre de Grace (Maryland), due au marquis de Lafayette qui visita cette ville côtière peu après la révolution américaine, et porte le nom original de la ville du Havre en Normandie.
L’énumération se poursuit avec New Rochelle (Etat de New York) fondée en 1688 par des Huguenots de La Rochelle, Mandeville (Louisiane) d’après Bernard Xavier Philippe de Marigny de Mandeville, important propriétaire créole et politicien de La Nouvelle-Orléans au XIXe siècle, Grosse Pointe, Port Huron et Grand Blanc (Michigan), Des Plaines (Illinois), Creve Coeur et Bonne Terre (Missouri), Eau Claire, La Crosse et Prairie du Chien (Wisconsin), Vincennes (Indiana) d’après François-Marie Bissot de Vincennes), Montclair (Californie, New Jersey), (Michigan), Beauregard (Missisippi), Beaumont et Grand Prairie (Texas), Belleville (Arkansas, Illinois, Michigan, New Jersey…) etc.
Des noms de villes françaises comme Abbeville (Caroline du Sud, Louisiane), Bayonne (New Jersey), Chantilly (Virginie), Marseilles (Illinois, Ohio), Paris (Arkansas, Kentucky, Maine, Texas…), Saint-Cloud (Minnesota) ou encore Versailles (Connecticut, Illinois, Indiana, Kentucky, Missouri et Pennsylvanie).
A l’écart des villes, des villages et des lieux-dits portent aussi des noms qui rendent hommage à la France et aux pionniers : Prairie du Rocher (Illinois), fondé par des Français du Canada en 1722, Des Lacs (Dakota du Nord), Portage des Sioux (Missouri), le ruisseau Terre Rouge (Arkansas). Sans oublier, en Louisiane : Chataignier, Grosse Tête, Pointe à la Hache, Napoleonville.
Inspirées par la tournée américaine de Lafayette en 1824-1825, de nombreuses villes ont adopté son nom : Lafayette (Californie, Indiana, Louisiane, Tennessee…), LaFayette (Kentucky), Fayette (Alabama, Pennsylvanie…) ou encore Fayetteville (Arkansas, Caroline du Nord…) et La Grange (Kentucky, Texas…) fait référence au château de La Grange-Bléneau, la propriété d’Ile-de-France où le marquis passa les trente dernières années de sa vie.
Les explorateurs et trappeurs francophones ont laissé de nombreuses traces de leur passage. Le nom du fleuve Mississippi, écrit tel quel sur la carte de Cavelier de La Salle en 1695, est une adaptation française du nom indien « Missisipioui », qui signifie « la grande rivière ».
L’immense lac Huron a été nommé d’après la désignation française de la tribu indienne de la région. On citera également le lac Champlain (séparant le Vermont du Canada) d’après l’explorateur Samuel de Champlain), le lac Traverse (Minnesota et Dakota du Sud), le lac du Flambeau, le lac Butte des Morts, le lac Courte Oreilles et la rivière Bois Brule (Wisconsin), la rivière Marais des Cygnes et le lac Pomme de Terre (Missouri), la rivière La Chute (New York), ainsi que les massifs forestiers nationaux Deschutes et Malheur (Oregon).
En Louisiane, se trouvent le lac Pontchartrain, hommage au ministre de la Marine de Louis XIV, le bayou Sauvage et le parc Fontainebleau.
On trouve également le Grand Teton, une montagne (et un parc national) du Wyoming ainsi nommée en raison de sa forme suggestive, le parc national Isle Royale dans le Michigan ou encore le parc national des Voyageurs dans le Minnesota, qui commémore ces colons français venus du Canada pratiquer le commerce de la fourrure aux 17e et 18e siècles, ils furent les premiers Européens à traverser le continent américain.
De nombreuses places fortes françaises, depuis transformées en musées et souvent classées National Historic Landmarks, témoignent de la présence française : fort Toulouse (Alabama), fort Presque Isle (Pennsylvanie), fort Crevecoeur et fort Massac (Illinois), fort Niagara (New York). Dans le même Etat, sur les rives du lac Champlain, les canons du fort Carillon (renommé fort Ticonderoga par les Anglais) portent encore la fleur de lys – l’emblème des rois de France !
Extrait de l'article de Anthony Lacoudre pour le magazine France-Amérique paru en octobre 2021.
(1) De mère britannique et de père français, Anthony Lacoudre utilise aussi bien le français que l’anglais dans son quotidien que dans son vie professionnelle. Il connaît l'importance et l'usage de la justesse des mots. Avocat de formation, il a débuté sa carrière en France et la poursuit à New York où il s'est installé.
Passionné d’étymologie et d’histoire, il offre un nouvel éclairage au monde francophone sur la langue anglaise, avec son ouvrage « L’incroyable histoire des mots français en anglais », fruit de plus de 10 années de compilation des mots français utilisés en anglais.
Un hommage pour l’histoire et la culture française dans la langue anglaise !