Leurs noms étaient : Chiasson, Comeau, Doucette, Légère, LeBlanc, Arsenault, Boudreau…Tous engagés volontaires dans la seconde guerre mondiale au sein des troupes canadiennes. Alors qu’ils étaient encore dans leur vingtaine, ils sont venus mourir un jour d’été 1944 sur une plage normande au nom de la liberté. Dans les petits villages près de Caen, sur le lieu historique dit Juno Beach, l’association « La Semaine Acadienne » célèbre leur mémoire chaque année tout en ouvrant une fenêtre culturelle, festive et musicale sur la culture de l’Acadie.
Selon les chiffres du Mémorial de Caen, 156.000 soldats alliés, Américains, Britanniques et Canadiens ont été débarqués sur les plages normandes pour la seule journée du 6 juin 1944. Objectif : forcer le mur de la défense ennemie. Plus de 10.000 d’entre eux ont été tués ou blessés. Entre Courseulles-sur-Mer et Saint-Aubin-sur-Mer, zone de débarquement de la 3èmeDivision canadienne, on estime à 360 le nombre de soldats canadiens tués et 700 le nombre de blessés.
Les 5000 canadiens décédés tout au long des trois mois que durera la Bataille de Normandie seront plus tard regroupés dans deux cimetières dont l’un surplombe Juno Beach à Beny-sur-Mer. Parmi les 2000 tombes marquées de la feuille d’érable, 335 sont celles des soldats appartenant pour bon nombre d’entre eux au North Shore Regiment du Nouveau-Brunswick. Certains parlaient à peine l’Anglais. Ils l’avait appris lors de leur entraînement militaire. Ils ignoraient où ils mettaient les pieds. Tout juste savaient-ils qu’on y parlait la même langue que la leur… Celle de leurs lointains ancêtres.
9 août 2021. Saint Aubin-sur-Mer. Sur la falaise, à deux pas d’un chemin de sable qui porte le nom de Brèche des Acadiens, on célèbre comme chaque année depuis 16 ans le sacrifice des Acadiens morts au combat durant la bataille de Normandie. Parmi les élus locaux dont les propos sont loin d’être convenus, et les délégations d’anciens combattants français, la représentante du Canada et le Préfet du Calvados. Avant les hymnes nationaux, Alexandra Fernandez, Acadienne de Saint-Pierre et Miquelon, interprète « Evangeline »*.
Les bateaux de la Société Nationale du Sauvetage en Mer s’approchent toutes sirènes en action. Quatre autres commémorations vont se succéder sur des plages voisines les jours suivants, tout ceci orchestré par l’association « La Semaine Acadienne » dont le président fondateur est Arnaud Blin. « Si les Normands connaissent le rôle joué par les Canadiens, en particulier lors du Raid de Dieppe d’aout 1942 au cours duquel un quart des troupes canadiennes a péri, bien peu d’entre eux avaient entendu parler des Acadiens. Pour le soixantième anniversaire en 2004, nous nous sommes dit qu’il était important de faire connaitre le rôle des Acadiens dans l’histoire de la 2èmeguerre mondiale assorti à un travail de connaissance de ce qu’est l’Acadie en terme de spécificité culturelle. Les gens du pays ne cessent pas d’être reconnaissants de l’aide qu’ils ont reçue. Il est important de continuer à se souvenir ». C’est ainsi qu’est née l’association, moins de 70 adhérents, des bénévoles qui chaque été, travaillent à célébrer sur les bases d’une histoire vieille de près de 75 ans, la résilience du peuple acadien et le dynamisme de sa culture.
2020 fut comme pour toutes les manifestations festives ou culturelles, une année blanche. En 2021, l’équipe a fait le pari que la rencontre ait lieu dans le contexte que l’on sait, sans les invités canadiens habituellement présents et malgré le retrait de dernière minute de son partenaire financier principal : Périlleux quand on a à gérer un budget de 90.000 €… Expos, films, journées thématiques, conférences, animations diverses et surtout concerts-spectacles : Mes souliers sont rouges, Terry Bradford et Sussie Arvesen, Alexandra Hernandez & Mister Mat…avec en point d’orgue le 15 août, Renan Luce juste après le Tintamarre, exceptionnellement autorisé malgré la pandémie. « La Préfecture a donné son accord jugeant que les participants ne sont pas un public à problème » souligne Arnaud Blin, un œil sur les bénévoles affectés aux ventes, un autre sur les nuages qui défilent dans le ciel. Bilan : 16.000 participants alors qu’on en attendait 10.000.
Si le moment le plus festif est resté celui du Tintamarre, le plus émouvant fut sans nul doute le concert du 10 août. Un hommage particulier y était rendu à un Boudreau. Celui-là aurait pu être le fils d’un de ceux qui reposent en terre normande : Gerry Boudreau, Francophone né au Nouveau-Brunswick, chanteur-compositeur, ardent interprète de la musique traditionnelle acadienne et cajun décédé à la fin de l’hiver dernier dans sa maison de Dordogne. Ce pilier du festival venait y faire entendre depuis 2006 un air d’Acadie que le vent emportait chaque été vers le cimetière militaire de Beny-sur-Mer.
Claude Ader-Martin
*Chanson de Michel Conte, inspirée du poème « A tale of Acady » de l’Américain Henry Longfellow écrit en 1847.
Photo de Une : Brèche des Acadiens (photo Claude Ader-Martin, AQAF)
