Le destin contrasté des troupes du Canada à la Conquête

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Avant le déclenchement officiel de la guerre de Sept Ans en Europe, en mai 1756, les hostilités étaient engagées dès 1754 entre la France et la Grande-Bretagne en Amérique du nord. Souvent nommé « guerre de la Conquête » par les historiens québécois, le volet nord-américain de cette guerre s’est achevé à Montréal par la capitulation de la Nouvelle-France, le 8 septembre 1760. Les deux signataires du texte de la capitulation étaient Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil, gouverneur général de la Nouvelle-France, et le général Jeffery Amherst, commandant en chef des armées britanniques en Amérique du nord. Dans l’attente de la signature du traité de paix en Europe[1], Vaudreuil a obtenu que le texte de la capitulation préserve transitoirement les intérêts de la colonie, au cas où le Canada resterait finalement à la France. On connaît la suite. L’exode de militaires et de civils vers la France a été massif, sans réversibilité. Robert Larin estime qu’en 1760, 200 officiers, 2400 soldats et 1400 membres des familles des militaires, de l’administration civile et autres émigrants sont partis en France, dont 1400 Canadiens[2]. Malheureusement, à leur arrivée à Rochefort, les militaires n’étaient pas tous logés à la même enseigne…

Le retour des militaires en France

Compagnie franche de la marine
Compagnie franche de la marine, en 2008, lors des célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec (auteur Harfang, licence CC BY-SA 3.0)

Le 5 octobre 1760, les cinq premiers navires britanniques avaient déjà quitté Québec pour la France, avec les troupes de la marine[3] et des passagers civils à bord. Jusqu’à la fin du mois, ils ont été suivis par une vingtaine d’autres navires, transportant les troupes régulières[4] et d’autres passagers civils. Tout le mois de décembre, après une traversée atlantique dans des conditions difficiles, les navires ont débarqué leurs passagers en France, principalement à La Rochelle. Mais le sort des militaires était bien différent selon qu’ils appartenaient aux troupes régulières ou de la marine. Le texte de la capitulation de Montréal était très clair. Les troupes du Canada ne devaient plus servir au cours de la même guerre. Les troupes régulières ont alors été envoyées à Poitiers où elles ont reçu une nouvelle affectation, loin du théâtre de la guerre. Pour les troupes de la marine, la perspective était souvent plus sombre.

Devenus inutiles et à charge, les soldats et sous-officiers de la marine, dont certains étaient canadiens, ont été congédiés à Rochefort, en dix jours, et devaient rapidement subvenir eux-mêmes à leurs besoins et ceux de leurs familles. En réalité, ils avaient tous refusé d’être enrôlés dans un régiment français, dans l’espoir de retourner un jour au Canada. Quant aux officiers de la marine, tous nobles et la plupart canadiens, le gouvernement leur a consenti ce qu’on a appelé la « demi-solde », dans l’attente, souvent vaine, qu’on leur confie une nouvelle affectation. A ce propos, l’ordonnance royale du 24 mars 1762 leur enjoignait de résider en Touraine où le bas prix des denrées pouvait leur faciliter le moyen d’exister. Bien entendu, en rassemblant les officiers nobles en Touraine, le roi songeait plutôt à s’assurer de leur conduite pendant leur séjour en France. Peut-être ont-ils souhaité eux-mêmes se regrouper en Touraine, province d’origine de certains d’entre eux[5]. C’est en tout cas en Touraine que s’est formé, plus particulièrement à Loches, un véritable « petit Canada ».

Un centre d’accueil pour les réfugiés

Tableau montrant l'exode massif vers la france
Tableau extrait de l’ouvrage de Robert Larin « Canadiens en Guyane 1754-1805 », page 60

Plus largement, Robert Larin estime à 4000 le nombre de Canadiens qui ont émigré en France pendant et après la guerre de la Conquête, jusqu'en 1770. Il va sans dire que l’émigration canadienne a été plus massive après la capitulation de Québec, en septembre 1759, puis celle de Montréal, un an plus tard. Elle s’est aussi poursuivie après la guerre, alors que le Canada s’installait durablement sous domination britannique. Ce phénomène migratoire n'a du reste pas touché que l'élite de la société canadienne, comme les officiers civils et militaires et leurs familles, mais toutes les catégories sociales. Et même s'il s'agissait la plupart du temps de destins dispersés dans toute la France métropolitaine et coloniale, des regroupements se sont parfois opérés, notamment en Touraine, aux colonies et dans des villes portuaires.

C’est ainsi que le port de Rochefort, principal entrepôt de soutien logistique aux colonies pendant le 18e siècle, est aussi devenu un centre d’accueil privilégié pour les réfugiés de la guerre de la Conquête, militaires et civils. Dès octobre 1758, et jusqu’en 1761, sont arrivés à Rochefort et La Rochelle de nombreux réfugiés civils de l’Île Royale[6], de l’Île Saint-Jean (en majorité acadiens) et du Canada[7]. Les troupes de l’Île Royale, vite rapatriées des prisons anglaises, après la perte de la forteresse de Louisbourg, fin juillet 1758, se sont aussi rassemblées à Rochefort. Beaucoup de leurs officiers ont ensuite repris du service dans une nouvelle aventure coloniale. Quant aux troupes du Canada, c’est encore à Rochefort qu’elles ont été regroupées, bien que ce soit pour congédier rapidement les soldats et sous-officiers de la marine. De même, si les officiers de la marine du Canada, la plupart canadiens, ont bien été pensionnés, très peu ont reçu une nouvelle affectation coloniale.

C’est ce qui explique que bon nombre d’anciens officiers de la Nouvelle-France, canadiens ou non, se sont fixés à Rochefort et dans sa région, au lieu de se rendre en Touraine où les Canadiens étaient invités à s’installer. En se focalisant sur les officiers canadiens et leurs familles, l’examen du passé de ces régions peut révéler d’étonnants lieux de mémoire. A nous maintenant de les découvrir…

Image d’en-tête : Place d’Armes, à Montréal, où les troupes françaises se sont rendues aux Britanniques en septembre 1760 (auteur Arild Vågen, licence CC BY-SA 4.0)

Jean-Marc Agator

Sources principales

Larin, Robert, « Canadiens en Guyane 1754-1805 », Septentrion (Québec), PUPS (Paris), 2006.

Morgat, Alain, « Comment l’arsenal de Rochefort s’est réinventé après la perte de la Nouvelle-France », Revue Nouvelle-France, N°3, janvier 2021, p.84-91.

Veyssière, Laurent, « La capitulation de Montréal et de la Nouvelle-France » ; Revue Nouvelle-France, N°3, janvier 2021, p.73-83.


[1] Traité de Paris, finalement signé le 10 février 1763.

[2] Sont considérés comme Canadiens les émigrants nés dans la vallée du Saint-Laurent ou y ayant fondé une famille, c’est-à-dire s'y étant mariés ou ayant eu au moins un enfant.

[3] Les troupes de la marine relevaient du ministère de la Marine, en charge des colonies. Organisées en compagnies franches (autonomes), elles servaient à bord des navires de guerre, dans les ports et assuraient la défense des colonies.

[4] Les troupes régulières relevaient du ministère de la Guerre. Organisées en régiments composés chacun d’un plus grand nombre de soldats (Béarn, Languedoc, Berry, Guyenne…), elles constituaient l’armée de terre, en charge d’assurer la défense du territoire français.

[5] Jean-François Mouhot, Des « Pieds-blancs » venus du froid ? Les réfugiés canadiens à Loches et en Touraine à la fin du 18e siècle, Société des Amis du Pays Lochois, n° 19, 2004, p.3-4.

[6] Les militaires et habitants natifs de l’Île Royale (actuelle Île du Cap Breton en Nouvelle-Ecosse) n’avaient pas de nom propre (comme Acadien pour Acadie).

[7] Emile Lauvrière, La tragédie d’un peuple, tome 2, Editions Brossard, Paris, 1922, p.286-287.

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