Le parlementarisme au féminin de chaque côté de l’Atlantique

quebec aqaf

Les 13 et 14 octobre se tenait à Québec un colloque sur la représentation des femmes dans la vie politique en France et au Québec. La rencontre virtuelle était organisée par la Commission de la mémoire franco-québécoise, acteur institutionnel du dispositif de coopération entre le Québec et la France en lien avec une douzaine de partenaires sous la présidence d’honneur de l’ex-Première ministre Pauline Marois. Le colloque qui abordait évidemment le thème de la parité en politique pouvait augurer de débats un peu académiques et solennels, n’eut été la participation de personnalités fortes.  Quand, pour faire monter la mayonnaise, on met une Louise Beaudoin, côté québécois en tandem virtuel avec une Roselyne Bachelot, côté français, on peut être certain que le plat à déguster ne ressemblera pas à de la langue de bois.

La figure oubliée de Marthe Simard

Marthe simard
Marthe Simard lors du discours prononcé sur la terrasse Dufferin le 23 août 1944, à l’occasion de la Libération de Paris (source Wikipedia, auteur Le Soleil, domaine public)

Les débats et les témoignages ont été l’occasion de retracer le chemin parcouru par nos deux sociétés en soulignant que les voies empruntées n’ont pas été semblables, histoire oblige, et d’évoquer la mémoire de quelques personnalités fortes à commencer par celle de la franco-québécoise Marthe Simard dont les Français ignorent bien souvent l’existence[1]. Née en Algérie à l’aube du 20ème siècle, devenue veuve très jeune, elle était arrivée à Québec suite à son remariage avec un médecin québécois. Leur maison de la rue d’Auteuil devient en 1940 le QG du mouvement gaulliste en Amérique du nord. A l‘automne 1943, de Gaulle l’invite à le rejoindre à Alger pour siéger à l’Assemblée consultative provisoire. Elle y est la seule femme parmi les 84 représentants. Après la Libération, en novembre 1944, elle regagne Paris avec l’Assemblée et fait partie des 10 femmes sur 248 membres qui vont y siéger. Elle sera la première femme à s’adresser à l’Assemblée nationale en Juin 1945, appuyant le projet de loi visant à donner le droit de vote aux femmes. Aussitôt dit, aussitôt fait, 33 femmes furent élues députées cette année- là. Mais il avait fallu la volonté politique du Général pour imposer une accession des femmes au pouvoir, en raison du refus conjugué des Chrétiens de droite comme des radicaux de gauche durant la IIIème République, y compris à l’époque ou le Front populaire gouvernait la France.

Pugnacité des suffragettes québécoises

Marie-claire kirkland-casgrain
Marie-Claire Kirkland-Casgrain, ministre du Tourisme du Québec (photo Jules Rochon, juillet 1970, source Bibliothèque des Archives Nationales du Québec)

C’est au mouvement féministe que les Québécoises doivent leur entrée officielle en politique et les participants au colloque comme Denyse Baillargeon, professeure émérite à l’Université de Montréal, n’ont pas manqué de souligner le rôle majeur joué par les suffragettes québécoises qui ont su s’inspirer de la lutte menée par leurs semblables au Canada. Il n’est pas inutile de rappeler à nos lecteurs français que si les canadiennes ont obtenu officiellement le droit de vote en 1918 au niveau fédéral, il en a été autrement au niveau provincial. Le Manitoba a été précurseur en 1916 alors que le Québec a été la dernière province à légaliser le suffrage féminin en 1940.

La lutte pour le vote des femmes s’était pourtant amorcée au début des années 20 avec des figures marquantes comme celle de Marie Lacoste Guérin-Lajoie née en 1867 et Anna Marks Lyman, fondatrices du Comité Provincial pour le suffrage féminin en 1922, mouvement qui ne reçoit pas l’appui du Premier ministre de l’époque, et auquel le clergé est fortement opposé. De nouvelles têtes appuient les revendications dans les années trente telles Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain, avant que le parti Liberal n’initie un projet de loi qui sera voté en 1940. Il faudra attendre encore 20 ans pour que Marie-Claire Kirkland-Casgrain[2] soit élue à l’Assemblée Nationale québécoise en 1961. Elle sera ensuite ministre et initiera la création du Conseil du statut de la femme.

Femmes parlementaires, unissez-vous

Louise beaudoin
Louise Beaudoin (source Assemblée Nationale du Québec)

75 ans plus tard pour les Françaises et 60 ans plus tard pour les Québécoises, où en est-on de la représentativité féminine en France et au Québec ? En tête, les Québécoises avec 42,4% de femmes élues au Salon Bleu, 38,9% de Françaises aux dernières Législatives alors que la France a été le premier pays à voter des lois sur la parité en 2000. Et celles qui au Québec voudraient bien s’en inspirer, de remarquer que vouloir légiférer à tout prix est peut-être nécessaire, mais certainement pas suffisant. Travailler en réseau semble avoir porté ses fruits au Québec, ce que la Sénatrice française Laurence Rossignol préconise également. C’est aussi dans les esprits qu’il faudrait que les choses changent, que l’entre-soi masculin disparaisse, que certains hommes vissés à leurs postes d’élus acceptent de laisser les fauteuils confortables sur lesquels ils sont assis, comme l’a souligné Louise Beaudoin. Et que les attitudes sexistes et les réflexions misogynes quand elles ne sont pas graveleuses disparaissent.

Roselyne bachelot
Roselyne Bachelot en 2014 (photo Remi Jouan, licence Creative Commons BY-SA 3.0)

Roselyne Bachelot n’a pas oublié le « Tiens voilà le concert des vagins » qui a salué sa première prise de parole à l’Assemblée nationale en 1989, tout en se réjouissant qu’une telle réflexion serait aujourd’hui relayée par les réseaux sociaux et provoquerait l’indignation. Mais comment faire quand les partis eux-mêmes trichent en « évitant » de présenter des femmes à des postes éligibles ? Sensibiliser les citoyens semble être la démarche à privilégier car c’est la société qui fait évoluer les lois. Observateurs et élus au Québec ont fait remarquer que c’est l’évolution des mentalités autant que la présence des femmes qui ont permis des avancées certaines en matière d’égalité des droits (Loi sur le changement du statut juridique des femmes mariées, Loi sur l’égalité salariale, Loi sur l’égalité des conjoints dans le mariage). Bref, coercition ou incitation, la carotte ou le bâton ? La tendance à une certaine désaffection des hommes vis-à-vis de la politique favorisera-t-elle l’accès à la parité totale ?

Reste que si au Parlement Québécois, certains hommes affichent résolument un parti pris féministe et que le Salon Bleu a accueilli récemment son premier bébé en séance, les mentalités semblent changer plus lentement à l’Assemblée nationale française où l’on n’a pas encore interprété le remake de Trois hommes et un couffin. Quant au Sénat, n’en parlons pas ! Mais ces est bien sûr -et on me le pardonnera- une réflexion toute personnelle...

Claude Ader-Martin

Image d’en-tête : Portrait d’Olympe de Gouges auteure d’une Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en 1791. « La femme a le droit de monter à l’échafaud. Elle a le droit de monter à la tribune » (artiste Alexander Kucharski, domaine public)


[1] C’est le 19 octobre 2021 seulement que son nom a été donné à un établissement scolaire à Villeparisis. Le dossier de presse qui présente la réalisation du bâtiment insiste sur sa haute qualité environnementale et ses performances énergétiques (il faut communiquer dans l’air du temps !), mais ne dit absolument rien de Marthe Simard.

[2] Homonyme de Thérèse Casgrain.

Se rapprocher

Amateurs et curieux, contributeurs, mécènes (...) la culture Francophone France/Amérique du nord vous intéresse ?
Prendre contact
Passionnés par la francophonie des Amériques et la Nouvelle-Aquitaine, nous aimons partager une histoire et une culture commune, susciter des rencontres conviviales autour de la langue, la musique, la gastronomie et le tourisme.
2021, AQAF - Tous droits réservés - mentions légales
contact
userscrossmenu-circle