L’herbe verte des Grandes Prairies canadiennes

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L’arrivée de la corvette La Capricieuse dans le golfe du Saint-Laurent signe en juillet 1855 la reprise des relations entre la France et son ancienne colonie. Attirés par l’abondance de terres disponibles, des immigrants s’établissent dans l’Ouest, aux confins des terres colonisées  grâce aux efforts de recrutement d’une partie du clergé catholique. Pour les Français, le choix des Prairies s’explique par la disponibilité de terres cultivables qu’une loi fédérale de 1872 octroie pour rien au presque (10 $) aux chefs de famille et aux hommes de plus de 21 ans *. Pour ceux qui les accueillent, il s’agit de préserver l’élément catholique francophone dans les Prairies dont le quart de la population , soit environ 20.000 personnes -essentiellement des Métis-parle le français.

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10$ pour 64,75 Ha (archives Alberta-Encyclopédie Canada

Origines socio-culturelles diverses

Alors que la France vit une période de déclin depuis la défaite de la guerre franco-prussienne de 1870, cette opportunité apparait comme un don du ciel aux yeux de certains. Migrants des villes ou migrants des champs, ils viennent de différentes régions françaises et d’horizons socio-économiques divers. Certains ont été incités au départ à cause des nouvelles lois scolaires anticléricales portées par un gouvernement républicain qui écartent les congrégations religieuses de l’enseignement. Lois qui seront couronnées en 1905 par celle de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, toujours en vigueur. Des familles y voient un frein à l’éducation que reçoivent leurs enfants, les religieux sont plongés dans le désarroi par la menace du chômage. On trouve donc parmi les immigrants français, outre des gens d’église, des familles d’ agriculteurs, des petits commerçants et même des membres de la bourgeoisie. C’est ainsi que le Manitoba tout nouvellement créé qui compte une centaine de Francophones nés en France en 1881, en recense sept fois plus dix ans plus tard, contribuant pour un temps, à la francisation des Grandes plaines de l’Ouest.

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Le curé Labelle en 1890. Société Historique de la Rivière du Nord. Fonds Famille Prévot.

Partenariats franco-canadiens

A ces migrants catholiques se joignent aussi des populations porteuses de valeurs républicaines. La création du Commissariat Canadien à Paris en 1882 joue le rôle de facilitateur et les délégations laïques autant que religieuses se succèdent dans les prairies de l’Ouest avec le but de drainer un véritable courant francophone vers le Canada. Parmi les laïcs, Arthur de la Londe. Chez les religieux, le Curé Labelle «  père de la colonisation » sont attachés à l’idée de faire de l’Ouest une terre de bons agriculteurs autant que de bons catholiques. Les délégations reçoivent l’aide du gouvernement canadien pour effectuer leurs missions. Laïcs et religieux unissent leurs efforts et reçoivent conjointement l’aide gouvernementale et celle de groupes indépendants. Les compagnies ferroviaires investissent dans le recrutement des migrants. En 1889 arrivent les premiers immigrants à Saint-Claude (Manitoba). La même année, l’abbé Jean Gaire, fondateur de la ville de Grande Clairière effectue un long périple en France, s’adressant aux Chambres de commerce et d’industrie. Ses pas l’amènent même jusqu’à Bordeaux. Les notables des centres francophones de l’Ouest travaillent de leur côté au peuplement de leur région. C’est ainsi que Bretons ou originaires du Massif Central, de Savoie ou de Poitou-Charentes, ces migrants s’amalgament aux familles francophones de Canadiens Français et à des familles métis dans les trois états du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta. En 1889, au Manitoba se crée Fannystelle, à une courte portée de la ligne de chemin de fer et à une cinquantaine de kilomètres de Winnipeg, une communauté financée par une comtesse d’empire, madame d’Albufera, décédée quelques années auparavant. Elle est le fruit d’un partenariat actif avec un jeune avocat manitobain Tomas-Alfred Bernier, auquel elle a laissé le soin de réaliser son projet. La comtesse meurt avant d’avoir vu l’achèvement de son rêve ce qui n’empêche pas les colons français au nombre desquels quelques aristocrates d’arriver par dizaines.

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L'entreprise Mollot début 20e à Fannystelle

Echec de la vie « à la française »

L’usage d’une langue commune et la distance géographique qui sépare les diverses petites communautés, la diversité des origines sociales ne suffiront pas toutefois à faire de cette mosaïque un terreau suffisamment consistant pour créer un sentiment d’appartenance à un groupe fort. Certains, parmi les plus nantis, grands bourgeois ou aristocrates tentent de recréer l‘esprit de classe qui existe dans le vieux monde, ne conçoivent pas leur nouvelle vie comme celle de pionniers et tentent de calquer leur nouvelle vie à l’image qu’ils ont gardé de l’ancienne. S’y ajoute une bonne dose d’incompétence. En 1885, un certain Rudolf Meyer venant de l’est de la France créée avec l’aristocrate Paul de Beaudrap un domaine baptisé La Rolanderie dans la vallée du Pipestone au sud de la Saskatchewan . Il y est rejoint par quelques aristocrates en mal d’une vie saine et facile à la campagne . Beaucoup d’argent est injecté dans ce projet qui prétend créer une fabrique de fromage, puis un élevage de porcs, puis la production de chicorée destiné à fabriquer un café » français ». Une église en pierre s’élève bientôt, mais faute de connaissances réelles en agriculture, une dizaine d’années plus tard, il ne restera plus rien de cette petit communauté. L’histoire retient ici le souvenir de promenades en calèche de comtes et vicomtes à particules, de bals prestigieux et d’ouvriers venus de France et de Belgique qui eurent du mal à subir les rigueurs du climat des Plaines. Les maîtres s’en allèrent sans trop laisser de traces, leurs employés s’intégrèrent petit à petit à la population locale jusqu’à y perdre leur langue maternelle. Force est de constater que dans les pays d’immigration, l’avenir appartient à ceux qui savent se relever les manches !

  • Chaque concession comprend 160 acres soit 64,75 ha

Claude Ader-Martin

Sources : Les migrations françaises vers les Prairies canadiennes (1870-1914) par Audrey Pyée. Revue interdisciplinaires des études canadiennes en France.

Les Français des Prairies canadiennes (1870-1915) par Anthony Nelzin-Santos. Mémoire de Master 2 dirigé par Mme Annick Foucrier. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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