A l'heure où j'écris ces lignes, un sixième système tropical nommé Zeta menace les côtes de Louisiane. La période cyclonique de l'année 2020, qui s'étend du mois de juin au mois de novembre, restera comme l'une des plus intenses de l'histoire louisianaise, avec près de 30 phénomènes recensés dans le Bassin Atlantique , dépassant le record de 2005 marqué bien sûr par le lourd bilan humain et matériel de l'ouragan Katrina.
Ces conditions sont-elles liées au réchauffement climatique ?
On sait que les eaux du golfe du Mexique étaient particulièrement chaudes cet été ( plus de trente degré celsius !). Le débat entre experts et climatologues en herbe reste ouvert. Mais sur le plan scientifique, on savait déjà l'hiver dernier que le phénomène « la Nina », identifié au large du Pacifique, allait engendrer une saison cyclonique dans le bassin atlantique plus active que la normale.
Par exemple, « la Nina » est une anomalie de la température des eaux de surface de l'océan Pacifique anormalement basse qui entraîne des répercussions à l'échelle mondiale : ouragans plus nombreux dans l'Atlantique, sècheresse dans l'est de l'Amérique du Sud et l'est de l'Afrique , humidité en l'Afrique Australe par exemple...
Et comme souvent , la Louisiane a été particulièrement touchée par les systèmes tropicaux durant cette fin d'été :
Les tempêtes tropicales Cristobal le 7 juin ( une des plus précoces de l'histoire) et Marco le 6 octobre touchent le sud est de la Louisiane (cf. carte ci dessous).
C'est la région de Lake Charles au sud ouest de la Louisiane qui subit à 6 semaines d'intervalle les assauts de ces deux ouragans majeurs que sont Laura et Delta avec le lot de disparus, d'inondations, de quartiers rasés, d'arbres décapités, de dégâts matériels considérables , de coupure d'électricité comme à chaque fois...
Et ironie de l'histoire , c'est la petite ville côtière de Cameron qui fut l'une des plus touchée , elle qui avait déjà été au trois quart détruite en 2005 après le passage de l'ouragan Rita et en 2008 après le passage de l'ouragan Ike et qui avait payé un lourd tribut avec plus de 400 morts en 1957 lors du passage de l'ouragan Audrey .
La vidéo dont le lien se trouve à la fin de l'article vaut tous les discours pour rendre compte de la puissance des vents accompagnant Delta et la montée rapide des eaux du golfe du Mexique à l'intérieur des terres au lieu dit Creole à quelques miles à l'est de la ville de Cameron.
Le musicien Cajun Alex Broussard , âgé de 94 ans fût témoin de cet événement et en avait fait une chanson en 1958 : « L'année de 57 »
Dans l'année de cinquante-sept Dans les mèches de la Louisiane Droit dans la mer est venu un' lame Qu'a couvert le sud de l'État Tous les biens des habitants Ont flotté sur l'eau salée On va se rappeler de l'ouragan Dedans l'année de cinquante-sept www.cajunlyrics.com Tous les bêtes de la Grande Chenière Ont été noyées dedans les mèches Les habitants de la Pacanière Ont été ruinés par l'eau salée Et les résidents des îles Avec tout le courage du monde Ont retourné dessus les îles Dedans l'année de cinquante-sept www.cajunlyrics.com Tout le reste de la Louisiane A prié pour le sud de l'État La charité a été donnée Pour les résidents des mèches Et le monde de Cameron Avec des larmes dedans les yeux Ont retourné à Cameron Dedans l'année de cinquante-sept www.cajunlyrics.com Aujourd'hui la Pacanière, Les Chenières et Cameron Est le paradis pour les chasseurs Les pêcheurs et les piégeurs Dans les mèches de la Louisiane Les résidents sont tous contents On va se rappeler de l'ouragan Dedans l'année de cinquante-sept
Katrina restera l'ouragan le plus meurtrier et le plus coûteux a avoir déferlé sur les Etas-unis.
Le 29 aôut 2005, il frappe les côtes de Louisiane. L'ouragan de catégorie 5 ( le plus haut de l'échelle) fait plus de 1800 morts, dont la majorité à la Nouvelle Orléans et plus d'un million de déplacés. Les vents qui soufflent à 280 km/h et les fortes intempéries provoquent l'effondrement des digues mal construites et peu entretenues. Quelques 360 000 maisons sont détruites.
L'ouragan a dévasté 233 000 km2 de terres principalement en Louisiane et au Mississippi, soit près de la moitié de la superficie de la France !
La ville de la Nouvelle Orléans est à 80 % submergée par des flôts allant jusqu'à 6 m de haut après la rupture des digues. Le bilan financier dépasse les 150 milliards de dollars.
Certains quartiers de la Crescent City présentent encore les stigmates de la catastrophe et de nombreux projets de reconstruction ont modifié le paysage de la ville avec plus ou moins de bonheur semble-t-il : en effet, des programmes construits hâtivement avec des matériaux de mauvaise qualité à destination des populations pauvres ont rapidement présenté des malfaçons inquiétantes pouvant entraîner des démolitions à court terme.
Quinze ans plus tard, les rues de la Nouvelle Orléans ont recommencé bien sûr à résonner au son des fanfares et des musiciens de rue mais le berceau du jazz a un peu perdu de sa superbe. Le choix musical est encore large mais les autochtones craignent que l'esprit créatif et d'improvisation de la ville n'ait été emporté par les flots de Katrina.
Une longue lignée de musiciens transmettaient une culture aux plus jeunes. Beaucoup sont décédés depuis cette tragédie comme Dr John, Fats Domino, Allen Toussaint pour ne citer que les plus connus. La disparition des clubs de quartier et la concentration des efforts sur le tourisme déterminent les opportunités désormais offertes aux musiciens et les types de musique qu'ils jouent.
Certes l'économie touristique est repartie à la hausse :
Des millions de visiteurs visitent NOLA chaque année et les festivals ou salles de concert offrent du travail aux musiciens locaux. Mais de nombreux artistes sont confrontés au déficit de logement bon marché ( les prix sont 30 à 40 % supérieurs à ceux d'avant Katrina) et sont toujours réduits à travailler "au chapeau" pour des pourboires dans la rue ou dans des bars pour touristes .
Les musiciens Néo Orléanais et plus généralement Louisianais , dont certains ont tout perdu dans la catastrophe, se sont toujours mobilisés pour lever des fonds en faveur des plus démunis .
Récemment le chanteur Acadien emblématique de la Louisiane Zacharie Richard a organisé un concert payant sur les réseaux sociaux pour venir en aide à la population de Lakes Charles , la ville du Sud Ouest du pays gravement touchée par les deux ouragans Laura et Delta.
Après Katrina, un collectif de musiciens a sorti en 2006 un magnifique album « OUR NEW ORLEANS » que je vous recommande. L'album s'ouvre sur deux morceaux joués par les deux pianistes iconiques récemment décédés que sont Allen Toussaint et Dr John.
Dans cet album, on trouve notamment un instrumental flamboyant du groupe Beausoleil, « l'Ouragon » (pour l'Ouragan bien sûr) et le standard incontournable de NOLA, « when the saints go marching in » interprété par Eddie Bo, charpentier pianiste de son état qui déclara en réparant le toit de sa modeste maison emportée par les éléments : « Music will help the people heal. The more the musicians trickle back into New Orleans, the more the city will come back. I want to be in that number !1 »
La musique aidera les gens à guérir. Plus les musiciens reviendront à la Nouvelle Orléans, plus la ville redeviendra ce qu'elle était. Je veux en faire partie
Eddie Bo
Depuis que la Louisiane existe , ses habitants ont dû faire face à de nombreuses catastrophes climatiques avec les ouragans bien sûr mais aussi avec la pollution plus insidieuse liée à l'exploitation du pétrole dans le golfe du Mexique. Les accidents sur les plateformes offshore ont encore des effets irréversibles sur la faune et la flore des marais , rivières et bayous . Le trait de côte recule régulièrement à chaque tempête et inondation...
Mais les Louisianais du sud semblent refuser l'évidence : la fragilité de l'implantation de la Nouvelle Orléans malgré les efforts de construction de digues de protection , la pollution des bayous dont la beauté intemporelle et mystérieuse cache une fragilité de l'écosystème... On trouve encore beaucoup de climatosceptiques parmi les populations du Sud des États-Unis.
L'attachement à la terre, aux origines, à la culture, à l'art de vivre est plus fort que tout dans le sud de la Louisiane.
Dans mes souvenirs d'ancien French Teacher, je me rappelle avoir rencontré en 1981 le grand père d'un ami cajun Carl Chauvin. Celui ci vivait dans sa « shotgun house »2 au bord du Bayou Lafourche à Golden Meadows à quelques miles du Golfe du Mexique dans une région très exposée aux tempêtes tropicales.
Il se rappelait notamment de l'ouragan Camille qui avait détruit entièrement son habitation en 1969. Il avait plusieurs fois reconstruit cette dernière au rythme des tempêtes et des tornades souvent associées aux ouragans. Il avait plusieurs fois fui vers Baton Rouge la capitale pour trouver refuge chez des cousins mais toujours, il était revenu sur les bords du bayou Lafourche où il était pêcheur de chevrettes ( crevettes ) pendant plus de 40 ans.
Ce qui m'avait frappé le plus à l'époque , c'est que ce vieil homme très digne, parlait mieux le Français que « l' Amaricain » comme disent les Cajuns . Il était né en 1893 et avait appris le Français avant l'Anglais. Il avait connu les punitions lorsque l'anglais était devenu langue officielle et qu'il était interdit de parler Français à l'école.
Ses parents originaires de Grand Isle, un archipel en première ligne sur le golfe du Mexique , avaient survécu au tristement célébre ouragan Cheniere caminada, l'un des plus meurtriers de la région : 779 personnes des 1471 habitants périrent en ce mois d'octobre 1893. En ces temps anciens, on n'avait pas les moyens actuels de détection des ouragans et pas les mêmes moyens de communication.
Les habitants ont été surpris par la violence et la soudaineté du phénomène : ils vaquaient à leurs occupations quotidiennes ou même étaient en train de danser au « fais dodo »(le bal cajun ) et la plupart n'ont pas eu le temps de fuir ou même de s'abriter ! Une stèle commémorative est visible au cimetière de Chenière Caminada.
Le « barde » Louisianais Zacharie Richard a écrit une chanson en 2007 qui retrace cet événement tragique, intitulée «l'île dernière», dont voici un extrait (album «Lumière dans le noir»).
Soudainement sur le coup de minuit arrive une rafale de vent
Ça soufflait si fort que ça a arraché les portes des encadrements
On entendait la mer enragée comme des millions d’abeilles
Les musiciens étaient si surpris qu’ils ont arrêté de jouer
De plus en plus fort le vent soufflait, les lampes étaient toutes éteintes
Les danseurs cherchaient la sortie en se tenant par la main
Mais sur la plage, sous les nuages, on ne trouvait guère refuge
C’était l’ouragan du Yucatan, c’était le grand déluge
Le vent soufflait pour des heures de temps, on ne restait guère debout
Les gens étaient si effarouchés qu’ils hurlaient au secours
Parmi les pleurs et les cris poussés, arrive le raz-de-marée
Comme le train du diable à trois étages, auquel rien ne résistait
L’hôtel et tous les habitants étaient emmenés au large
On s’agrippait à n’importe quoi, espérant trouver sauvetage
Une fois le bâtiment redressé, on a monté sur le toit
Mais dans cette nuit, aucun répit, il n’y avait que de l’effroi
Enragés par l’eau salée, arrivent des milliers de serpents
On essayait de les repousser pour protéger les enfants
Mais contre tous ces mocassins, il n’y avait rien à faire
Il n’y avait pas de survivant, cette nuit, sur l’Île Dernière
Aujourd’hui, au bout de l’archipel qu’on appelle les Chandeleurs
À vingt-huit degrés de latitude, on entend toujours des pleurs
Tous les marins naviguant dans ces eaux y font une prière
Pour les hommes et les femmes et les p’tits enfants perdus sur l’Île Dernière
Mais quel maringouin (moustique) a piqué le chantre de l'Acadie tropicale lorsqu'il se confiait il y a quelques années à une journaliste francophone ? Je la cite :
"Chaque semaine, Zacharie Richard passe plusieurs heures à tailler la jungle tropicale qui menace chez lui. Entre bambous et orangers se dresse fièrement sa maison de style Cadien. Mais la demeure s'enfonce peu à peu dans le sol meuble, et son propriétaire parfois se prend à rêver d'un ailleurs meilleur."
« Je dis à Claude , ma femme, qu'on va aller dans le sud de la France où on peut boire du bon vin moins cher ». Elle me dit : « On ne va jamais partir d'ici. »
Conclusion
Il semble que les hommes et les paysages de la Louisiane restent marqués pour toujours par les tempêtes tropicales qui prennent de plus en plus l'apparence d''ouragans monstrueux et dévastateurs .
La menace des ouragans fait partie intégrante de la vie en Louisiane :
Les alertes, les conseils de prudence, les exercices de mise en sécurité ou d'évacuation y sont fréquents, les dégâts sont souvent considérables , les reconstructions longues , les bilans financiers lourds, etc...
Mais les Louisianais semblent avoir un force en eux qui les fait toujours se relever et repartir après chaque catastrophe climatique . Comme un attachement profond à leur pays et leur culture. Et Ils continuent à laisser le bon temps rouler et à célébrer le cocktail emblématique de la Nouvelle Orléans qui est... ...vous l'avez deviné ? …
Le Hurricane !
Daniel Marchais
1parole du refrain de « Oh when the saints »
2type de maison modeste très répandue en Louisiane , rectangulaire et étroite, avec souvent 3 ou 4 pièces en enfilade.
Quelques coups de cœur à lire , à écouter , à regarder :
Hurricane Delta Massive Storm Surge And Eye, Creole, LA 10/9/2020 - YouTube