Un immense patchwork de rectangles déclinant tous les verts de la palette couturés de routes rectilignes qui mènent à l'infini, s'offre aux yeux du voyageur arrivant par les airs au Manitoba. Ici et là de vastes et sombres étendues lacustres trouent la courtepointe avant que n'apparaisse l'étoile à cinq branches que dessine Winnipeg vue du ciel. L'air est sec, la lumière omniprésente, et déjà l'on sent le vent de la plaine qui souffle comme une brise océane en rebroussant les herbes. Le centre historique de la ville c'est La Fourche, the Forks, lieu de rencontre entre les peuples autochtones depuis plus de 5.000 ans, au confluent de la rivière Rouge et de la rivière Assiniboine.
Lieu de commerce entre trappeurs, colons européens et chasseurs Métis dans la deuxième moitié du XIXème siècle, il est toujours au coeur de la ville, une zone de rassemblement, de célébration et d'intense activité commerciale à deux pas du pont piétonnier qui dessine un trait d'union entre Saint Boniface et le centre ville.
De la rébellion métisse à la reconnaissance des droits de l'homme
A 100 m de là, voici la perle architecturale de la ville, le Musée canadien pour les droits de la personne ouvert en septembre 2014. Il est issu du rêve d' Israel Asper, magnat de la presse,qui avait souhaité que ce musée national voué à l'histoire des droits et libertés soit construit hors de la capitale nationale Ottawa, en plein coeur du continent canadien.L'édifice signé de l'architecte américain Antoine Predock se veut le symbole des idées qui ont inspiré le Canada en matière de lutte pour les droits de l'homme, à commencer par l'édifice érigé sur le territoire visé par le Traité n°1 signé en 1871 qui définissait les droits respectifs des Premières Nations et de la Couronne britannique.C'est d'ici, d'où est partie en 1870 la rébellion des Métis menés par Louis Riel, lequel dort de son dernier sommeil, juste en face, sur la rive opposée de la rivière Rouge.
La francophonie ancrée de l'Ouest
Louis Riel, qui paya de sa vie la création de l'Etat du Manitoba repose en territoire francophone dans le petit cimetière de la cathédrale Saint Boniface. Le quartier qui porte aussi la mémoire de la talentueuse Gabrielle Roy, femme de lettres qui obtint le prix Fémina en 1947 a longtemps été LA ville francophone des Plaines de l'Ouest avant de devenir le quartier francophone de la capitale manitobaine.
A quelques blocs de sa maison familiale sur le boulevard Provencher, le Centre culturel francophone qui abrite un centre d'archives en français sur l'Ouest canadien et son fleuron, le Cercle Molière qui donne à entendre du théâtre en français depuis 1925, ce qui 'est pas rien lorsque l'on se souvient que la ville avait à peine un demi-siècle lors de la création de la troupe. Si le Cercle Molière a débuté son histoire en interprétant le répertoire classique français, la troupe s'est professionnalisée à la fin des années 60 et son essor lui a permis de développer des productions franco-canadiennes originales. Le Cercle Molière fait vivre ici la culture francophone, quand il ne s'exporte pas vers Vancouver, Ottawa ou Québec.
Les avantages du bilinguisme
La province dont la population francophone se limite à 4% compte 24 écoles où l'enseignement se fait en français pour un peu plus de 5.000 élèves. A côté de cela, 25.000 jeunes fréquentent des écoles dites "d'immersion" où ils reçoivent une partie de leur enseignement en français, ce qui s'entend dans les commerces et les lieux touristiques, chacun des jeunes interrogés se plaisant à souligner la chance que représente le bilinguisme en matière d'emploi. Un sacré progrès lorsque l'on se souvient qu'en 1890 la langue française fut officiellement abolie par le Gouvernement manitobain, rendant de ce fait l'éducation en français impossible avant d'être jugée anti-constitutionnelle en 1979. Entre temps en 1916 était née l'Association d'Education des Canadiens français du Manitoba, sorte de ministère parallèle de l"éducation ... en français avant que le gouvernement, n' autorise partiellement et petit à petit l'enseignement du français à partir des années 60.
lobbying économique et linguistique
Mais ce n'est pas l'histoire des luttes linguistiques qu'évoque pour nous Louis Tétrault, directeur général de l'association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM), structure fondée il y a 20 ans. Dix sept villes en sont membres dont la capitale Winnipeg au 7ème rang des villes canadiennes avec 630.000 habitants tout comme Saint-Léon, 120 âmes. Le but de l'association est d'abord de développer l'offre interne de services de ces municipalités dans la double langue français et anglais, de les aider à favoriser des politiques favorable au bilinguisme, et de rechercher avec elles le meilleur moyen de développer leurs ressources sur le plan économique, écologique et touristique. L'association qui appartient au réseau des villes francophones et francophiles d'Amérique entretient des liens privilégiés avec la Louisiane et cherche à favoriser l'immigration de populations francophones, essentiellement en provenance d'Afrique noire. Travail à plein temps pour Louis Tétrault qui a toujours conjugué personnellement et professionnellement développement économique et sauvegarde de la langue française d'abord au sein de la société Franco-manitobaine, puis au Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba, enfin à la tête de l'AMBM.
"North by North-west"*
Cap vers le sud-ouest, à la sortie de Winnipeg. Le vert tendre des champs de blé se noie dans le jaune vif des champs de colza alors que d'immenses roseaux bordent les routes rectilignes où le moindre véhicule soulève des nuages de poussière. Au dessus de nos têtes, un ciel bleu cobalt et des nuages en suspension. On se croirait dans le film d'Hitchcock, la Mort aux Trousses *. Il ne manque plus que Cary Grant pour que l'illusion soit totale. Premier arrêt à Saint- Claude, village francophone de 650 résidents fondé par des montagnards venus il y a un siècle du Jura. Des Bretons et des Normands se sont joints à eux si l'on en croit les objets pieusement gardés dans le petit musée local. Ici, l'école se fait en français et l'église catholique de style épuré est signée de l'architecte Etienne Gaboury qui a conçu l'esplanade Riel qui fait face à la cathédrale Saint Boniface à Winnipeg.Mais la curiosité la plus célèbre est une pipe érigée en l'honneur du village français de Saint Claude. Il parait que l'on interprète ici la Marseillaise chaque 14 juillet face au cénotaphe à la mémoire des premiers arrivés sur lequel veille le buste en marbre du Maréchal Foch. Jared, le jeune préposé pour l'été à l'Office de tourisme nous l'affirme dans un français étonnant à entendre dans ce village du bout du monde. Cap au sud vers Notre Dame de Lourdes, épicentre de la colonisation catholique francophone du Manitoba dans les vertes collines de Pembina.
La petite ville s'est peuplée de colons français et suisses au tout début du 20 ème siècle menés par des chanoines de l'Immaculée Conception et a survécu grâce à la construction d'une ligne de chemin de fer favorisant l'économie locale. Village typique d'Amérique du nord dont l'église offre toilettes et climatisation,Traversé par la route nationale qui file vers les Etats-Unis , c'est un centre où l'on règle ses affaires près de l'ancien couvent des chanoinesses transformé en maison de soins il y a un demi-siècle. Plus au sud encore, voici Saint-Léon, fondé dans les années 1880, sa forêt d'éoliennes et son petit centre d'interprétation sur les énergies nouvelles et la salamandre grise tigrée dont des colonies entières traversent le village à la fin de l'été.
Saint-Léon, ainsi nommé en l'honneur du Pape Léon XIII est appelé à grandir en raison de l'expansion des réseaux de communication liés à la construction récente d'éoliennes géantes qui utilisent la force d'un vent omniprésent d'un bout à l'autre de l'année.... Le retour vers la TransCanada via quelques réserves autochtones nous ramène pour un temps vers la culture anglophone....... Nos découvertes ne font que commencer...
Claude Ader-Martin