« Je n’avais que 8 ans. Ma mère et moi allions toutes les fins de semaine à l’Exposition. Nous avions un passeport de saison et avons rempli toutes les pages des étampes de chaque pays. Malheureusement, un cambrioleur l’a pris, il y a trente-cinq ans. Sinon , je l’aurais conservé toute ma vie » témoigne Pierre Duhaime via internet. Combien en existe-t-il- encore de ces passeports pieusement conservés au fond de quelques tiroirs en souvenir de ce moment important de leur vie, « moment qui a ouvert les Québécois au monde et à la diversité » résume le Montréalais, maintenant dans la soixantaine et qui, depuis, a parcouru la planète !
Dans le pensionnat tenu par les frères maristes où il étudiait, « la visite d’Expo 67 était la récompense de fin d’année pour les bons élèves » se souvient l’historien Marc-André Bluteau, résidant à Québec. Le trajet en bus scolaire n’en finissait pas de finir(…) Entre les consignes sur le bon comportement à adopter sur place donnés par le frère Denis, les Ave maria récités machinalement par le frère Gérard et les chants pieux entonnés par le frère Antonio, il n’y avait pas grand place pour la dissipation, mais après trois heures, le monde s’offrait enfin devant nous comme si notre Blue Bird jaune (1)était devenu un immense oiseau mécanique qui allait, comme celui de Saint-Exupéry, atterrir sur la terre de tous les hommes réunis…Mais l’attente en valait la peine, car, à l’image d’un vrai film de science-fiction, nous pouvions voir voler le monorail au-dessus de nos têtes (Harry Potter n’a rien inventé) apprécier le design futuriste des pavillons et sentir les effluves du poulet Saint-Hubert « ! (2)
Souvenirs olfactifs, émois provoqués par la vision de jeunes femmes en minijupe ( les 3.000 hôtesses de l’expo en portaient !), sentiment d’extrême liberté procuré par l’utilisation du métro nouvellement mis en service qui conduisait les visiteurs jusqu’à des îles brusquement sorties du fleuve Saint-Laurent…Autant de petites madeleines surgies des mémoires qui se mélangent à postériori à la compréhension de la situation géopolitique de l’époque et à la conscience de l’émergence d’un univers nouveau que les innovations technologiques et les nouveaux moyens de transport mettaient à portée de rêve de ces adolescents d’alors.
Tout a commencé avec la construction d’un métro fortement souhaité depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Les travaux commencés en 1962 ne sont certainement pas pour rien dans le choix qui se porte l’année suivante sur la candidature de la ville de Montréal pour la prochaine expo universelle. Il faut que le métro soit en service pour 1967. Et il le sera puisque l’inauguration officielle a lieu en octobre 1966 faisant de Montréal, la 8ème ville d’Amérique du nord à se doter d’un tel moyen de transport et la 2ème ville canadienne après Toronto (1954). Soulignons au passage, dans un accès de chauvinisme, que sa construction a fait intervenir quelques ingénieurs de la RATP ! A ceci s’ajoute, de manière concomitante, la création en plein milieu du Saint-Laurent d’une ile qui adossée à l’île Sainte Hélène vont former à elle deux un grand parc de 600 hectares traversé par des canaux. Le site de l’exposition voit le jour en moins de 18 mois à coup d’explosions à la dynamite, de plus de 20 millions de tonnes d’alluvions sortis du fleuve et de pierre récupérés des excavations créées par la construction du métro. Trois digues nouvelles sont construites. Le coût est phénoménal. Le Canada compte célébrer le centenaire de sa naissance en grand, et justement dans sa province rebelle, celle qui montre depuis toujours des velléités d’indépendance ! Sans incidence aucune avant que le Grand Charles ne s’en mêle. Mais ceci est une autre histoire…
Une affluence jamais atteinte depuis l’exposition universelle de Paris en 1900, Expo 67 dont le thème est : L’homme et son monde qui s’inspire du livre Terre des hommes de Saint-Exupéry accueille 62 pays participants et plus de 50 millions de visiteurs dont 120.000 Français. Les USA et l’URSS s’y font face. Le premier sous forme d’un globe terrestre baptisé à l’époque Pavillon géodésique, structure de 80 m de diamètre formée de 1900 hexagones de barres d’acier soudées entre elles et traversées par un monorail. De l’autre côté d’un canal, l’architecture à toit incurvé du pavillon russe, plus tard démonté. Pavillon du Québec tel un bloc de glace flottant sur le fleuve dont les murs diffusent en continu des images de la construction du grand barrage Manic 5 qui sera mis en service trois ans plus tard, pavillon de l’Allemagne tel une gigantesque tente, pavillon en verre de l’Australie, pavillon français et son architecture en bataille selon un commentateur de l’époque, pagodes extrême orientale… Concentré en un seul lieu de l’intelligence et de la technologie humaines et d’effets spéciaux qui semblent tout droit sortis de la boite d’un géant magicien. « Ce qu’on en entendait dire nous faisait rêver » explique la franco-ontarienne Jeannine Ouellette « mais le transport depuis chez nous et le prix de l’entrée pour toute une famille était bien trop onéreux ». Que dire des pavillons des technologies du futur qui ouvraient la voie aux conversations à distance avec leur technologie sans fil et de ce Kaléidoscope vitrine de la technologie canadienne offrant en 12 minutes un voyage sensitif d’une journée depuis l’aube jusqu’à la nuit, censé illustrer l’influence de la couleur sur l’être humain.
Quelques-unes de ces réalisations les plus emblématiques sont encore visibles de nos jours : Remis en état après un incendie, devenu Musée de la Biosphère , l’ancien pavillon des USA est une des attractions les plus visitées de la ville et les deux pavillons du Québec et de la France forment aujourd’hui le Casino de Montréal.
Si l’expo a donné un coup de fouet au système des transports publics montréalais avec la création -outre celle du métro- de deux autoroutes et d’un pont tunnel, c’est incontestablement la construction d’Habitat 67 sur la rive sud du Saint-Laurent qui reste le souvenir majeur de l’exposition universelle, œuvre d’un jeune architecte canadien de génie, Moshe Safdie, pas même trentenaire. Il imagine une cité expérimentale de conception modulaire composée de 354 cubes de béton de 5m de largeur sur 11 m de longueur et 3 m de hauteur, d’un poids moyen de 80 tonnes articulés les uns aux autres soit 158 logements de 1 à 4 pièces occupant 1 à 4 modules groupés en pyramides irrégulières de 10 étages reliés par un système de chemin piétonnier , le tout ressemblant aux alvéoles d’une ruche. Une « casbah aérienne, » selon un journaliste français. La cité a d’abord abrité quelques visiteurs privilégiés d’Expo 67 avant que les appartements aux fenêtres disposées irrégulièrement de manière à préserver l’intimité des occupants soient mis à la vente en 1985. Aujourd’hui, ces appartements qui de loin donnent l’impression d’un joyeux fatras architectural mais qui offrent une vue surprenante sur le fleuve et la ville se revendent à une vitesse record et à prix d’or. Un demi-siècle plus tard , Moshe Safdie dessine encore des bâtiments futuristes dans le monde entier(3).
Les grands -parents d’aujourd’hui se souviennent que pour les ados qu’ils étaient en 1967, ce qui importait le plus, c’était de découvrir les plaisirs de la Ronde, parc d’attractions d’un concept novateur tout droit venu des USA dans les années soixante et qui a fait son chemin depuis et à toute vitesse à travers les pays industrialisés. Maximum de sensations, maximum de bruit, maximum de fun… dépense maximale garantie !
Claude Ader-Martin
Sources :
Expo 67 de Montréal, un évènement marquant par Tran, Van Troi
Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique Française
La construction des îles et de la cité du Havre par Roger La Roche.
Ville de montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/roger-la-roche
Expo 67 Pavillons thématiques. Habitat 67 par Roger La Roche
L’Expo 67 dans la presse française : la vision du Québec dans l’Hexagone par Samy Mesli Association québécoise d’histoire politique.
Le Charlesbourgeois. Bulletin de la Société d’Histoire de Charlesbourg. Exposition Universelle de Montréal 1967. N° 135