En 1661, la flotte de Louis XIV est quasiment inexistante : elle compte une trentaine de navires tous en mauvais état. Le roi demande à son Ministre Colbert de réparer sa flotte de guerre pour faire face aux assauts ennemis et doter le pays d’une puissance maritime pour contrer la "Navy" anglaise en pleine expansion territoriale et coloniale. En 1666, Colbert créa l’Arsenal de Rochefort sur l’Atlantique avec Brest, ainsi que Toulon sur les bords de la Méditerranée.
Rapidement, Rochefort deviendra le plus important arsenal du pays avec plus de 166 navires construits localement dans la région. «A Rochefort, il n’y avait que des habitants et de la vase, explique Jean-Pierre Réal, président de l’association Route des canons et des tonneaux. L’arsenal sortait de terre, tout ce qui était nécessaire à la construction, à l’avitaillement et à l’armement des bateaux était fabriqué en Périgord, Limousin et Angoumois, et transitait jusqu'à Rochefort par cette route économique est-ouest, terrestre, fluviale et maritime.»
Aujourd’hui, la Corderie royale témoigne de ce riche passé maritime ainsi que le chantier de l’Hermione, la réplique de la célèbre frégate de 26 canons dite Frégate de la Liberté qui en 1780, permit au Marquis de Lafayette de rejoindre les insurgés américains en lutte pour leur indépendance.
En pleine Guerre d’indépendance américaine et plus tard, pendant la Guerre de 7 ans, les chantiers navals français fonctionneront à plein régime. Toute la région Périgord-Limousin-Charente était concernée avec de multiples « sous-traitants » et métiers mis à contribution pour le développement de la marine royale : mature, charpente marine, armement, avitaillement etc.
Cette belle histoire régionale est d’autant plus étonnante qu’elle avait été un peu oubliée jusqu’à ce que le « Cercle de Recherche des Fonderies du Pays d’Ans » ainsi que l’association La Route des Tonneaux et des canons (RTC) en Charente la replacent dans l’actualité, une occasion d’inciter les touristes à découvrir ces lieux de mémoire dédiés à l'histoire navale.
Dans notre itinéraire, nous commencerons dans les Pyrénées Atlantiques avec une belle balade pédestre : le chemin de la Mâture à Urdos, un chemin de 1,2 Km creusé dans le rocher d’une falaise, pour franchir un ravin étroit à pic au lieu dit « les gorges d’Enfer », il s'agit du passage pour les troncs tirés par des bœufs qui permettait l’approvisionnement en mats de bateaux. En effet, les forêts de l’ouest pyrénéen étaient réputées pour leurs grands arbres de qualité : les sapins étaient utilisés pour les mâts, les hêtres pour des avirons et des poutres tandis que les buis servaient à la réalisation d’essieux et poulies.
Ces troncs étaient ensuite amener par flottage sur les gaves jusqu'au port de Bayonne. L’exploitation des arbres pour la marine en vallée d’Aspe s’achève en 1778 par épuisement de la ressource. (1)
La prochaine étape nous amène sur la route des canons en Dordogne. Au XVIIe, cette région était célèbre pour son important bassin sidérurgique, surtout dans la partie septentrionale du Périgord (2). La stratégie de Colbert profita des ressources naturelles (minerai de fer, bois, énergie hydraulique) disponibles sur place et de l’industrie sidérurgique répartie dans de très nombreuses forges-fonderies.
De 1691 à 1830, entre Auvézère et Vézère, des milliers de canons furent coulés dans les forges d’Ans et de Plazac pour la marine royale : le sol était abondamment pourvu en fer, les forêts de chêne et charmes donnaient un excellent charbon de bois, les maîtres de forge avaient acquis la maîtrise de la fusion de la fonte et du fer.
Trois copies de canon du XVIIIe, offertes par un descendant des maîtres de forge, en témoignent aujourd’hui sur la route des canons qui traverse aujourd’hui dix communes qui en assurent l’entretien et la signalétique (3):
L’itinéraire terrestre empruntait plusieurs routes en fonction des saisons et de l’état de la chaussée : Auberoche-Le Bugue (42 km), Auberoche-Le Moustier (40km) mais la plus courante était : Ans-Le Moustier (34 km).
Une fois terminés, les canons et les mortiers étaient ainsi acheminés par voie terrestre au port du Moustier sur la Vézère où ils étaient chargés par les bateliers du Bugue qui les convoyaient sur la Dordogne jusqu’à Libourne puis Bordeaux.
Le trajet durait de 3 à 4 jours en fonction du chargement, la hauteur d’eau et la force du courant. De Bordeaux, ils prenaient la voie maritime pour les arsenaux de Rochefort. L’installation des canons à bord des vaisseaux de la Royal sous Louis XV se faisait à l’Ile d’Aix.
Cette route des canons "Une offre canon!" est également disponible pour les plus jeunes et leurs parents sur l'application régionale Terra Adventura à la Forge d'Ans, sous forme de géocatching, une autre façon de faire revivre le passé auprès du jeune public.
Pour compléter ce parcours patrimonial, il existe dans la partie septentrionale aussi réputée pour son bassin sidérurgique et ses voies navigables, la route des Tonneaux et des Canons : Nontron, Ruelle, Saint-Simon... Grâce à l’initiative de l’association des Tonneaux et Canons, qui a réuni de nombreux partenaires : des passionnés d’histoire, d’importantes recherches dans les archives, des entreprises locales dont une fonderie locale spécialisée dans les grosses pièces de l’industrie qui a fait un plongeon au XVIIIe pour honorer cette commande inédite de canons pour l'Hermione, des professeurs et étudiants de l’IUT d’Angoulême pour la modélisation numérique et conception des moules, une forte mobilisation régionale pour participer à l'aventure collective de l’Hermione en 2014 avant son départ pour l'Amérique.
La réalisation du dernier canon en 2004, a fait l’objet d' une reconstitution historique de la route des canons et des tonneaux pour faire revivre tous les métiers et les étapes du transport des canons dans le bassin de la Charente, au port d’Houmeau d’Angoulême avant l’arrivée à Rochefort.
Cette manifestation culturelle et conviviale, a mobilisé les habitants et les communes traversées avec la participation de vieux gréments et gabarres accompagnés depuis l’amont, par des attelages divers tirés par des chevaux… Autrefois, ces charrettes transportaient non seulement des canons de marine, mais aussi des merrains pour les tonneaux indispensables au transport de la poudre, de l’eau, du vin et des aux eaux-de-vie, de viande salée… avant la traversée de l’Atlantique. La « remonte « du fleuve en retour, permettait d’acheminer vers les hautes vallées du Périgord-Limousin-Charente du sel, du poisson ou des denrées coloniales. L'association RTC participe régulièrement à des manifestations locales autour de la fête du fleuve Charente.
Tout un pan de l’histoire régionale et de ses relations transatlantiques qui nous rappellent nos liens profonds avec l’Amérique du Nord. Faisons les vivre en empruntant ces chemins ....
Anne Marbot
Sources :