L'histoire des relations commerciales directes entre le Canada et la France dans la période 1885-1905 montre que l'attachement sentimental des Canadiens français à leurs échanges passés florissants avec La Rochelle ne résiste pas au pragmatisme des relations d'affaires.
Cet article s'attache à en raconter les péripéties. Il est le deuxième de la catégorie "Histoire de la Nouvelle Aquitaine" consacrée à l'histoire nord-américaine de la région.
En 1763, à la signature du traité de Paris, la France abandonnait le Canada aux Anglais. L’année précédente, elle cédait la Louisiane à l’Espagne. L' Aquitaine perdait deux importants débouchés atlantiques pour Bordeaux et La Rochelle, les deux principaux ports français concernés à cette époque. Les Anglais prenaient le contrôle des mers pour longtemps.
Il faudra ensuite attendre près d'un siècle pour qu'un navire français missionné par Napoléon III atteigne les eaux du fleuve Saint-Laurent. Le 13 juillet 1855, la corvette La Capricieuse, dirigée par le commandant Paul-Henry de Belvèze, entre dans le port de Québec. De Belvèze est porteur d'une mission commerciale, mais les Canadiens lui font d'abord un accueil triomphal car ils saluent à travers lui le retour de leur chère mère patrie après une si longue absence. La mission sera un succès et permettra de renouer les échanges commerciaux entre le Canada et la France. Les ports de La Rochelle et de Bordeaux en profiteront-ils durablement ?
L'histoire avait pourtant bien commencé. Le 23 juin 1859 le tout premier consul général de France au Canada vient s'installer à Québec, pour développer les liens commerciaux et diplomatiques entre les deux pays. En 1886, la chambre de commerce française de Montréal est fondée avec les commerçants français. Elle demande dès 1886 la création d'une ligne directe entre le Canada et la France, en évitant ainsi le transit par un port anglais, à condition bien sûr que les départs soient réguliers et les bateaux bien aménagés.
Le message est entendu. En 1885, le gouvernement canadien propose de subventionner une compagnie franco-canadienne qui solliciterait de la France une subvention égale afin de créer un service régulier transatlantique. Le maire de La Rochelle écrit aussitôt au président du conseil pour promouvoir les avantages du port en eaux profondes en cours de construction à La Pallice, dont l'achèvement est annoncé pour 1886.
Hélas, le port de La Pallice ne sera inauguré qu'en 1890 et c'est le port du Havre qui est choisi en 1886 comme tête de ligne française pour la ligne Boissière, première ligne directe entre la France et le Canada. Mais le service entre Montréal et Le Havre ne durera que trois ans, jusqu'en 1889, et sera donc un échec, en raison d'une organisation défectueuse et d'un service irrégulier.
Ce premier échec n'entame pas la volonté du gouvernement canadien de développer les échanges économiques avec la France. Le 6 février 1893, une convention commerciale est signée entre les deux pays, ce qui traduit aussi l'ambition de la France de devenir le troisième partenaire commercial du Canada, après les Etats-Unis et l'Empire britannique. La concurrence est tout de même sérieuse avec l'Allemagne qui met en service dès 1893 une ligne directe entre Montréal et Brême. Mais en ce début d'année 1893, le président de la chambre de commerce de La Rochelle estime toujours inconcevable que La Rochelle, compte tenu de ses relations passées prospères avec le Canada, reste à l'écart d'une ligne directe entre le Canada et la France. A l'été 1893, son souhait est exaucé...
La compagnie franco-canadienne de navigation à vapeur est créée en juillet 1893, financée par des capitaux français et appuyée par le gouvernement canadien. Elle est chargée d'établir un service direct entre Rouen, La Rochelle, Québec et Montréal, avec une escale à Saint-Pierre-et-Miquelon. L'espoir renaît de faire revivre un passé glorieux...
Mais cet espoir est de courte durée. Le premier vapeur, l'Olbia, part de la La Pallice le 21 août 1893, avec passagers et marchandises. Quatre départs ont lieu de La Rochelle cette même année. Malheureusement, la compagnie franco-canadienne de navigation, insolvable, doit cesser ses activités et il n'y a pas de nouveau départ en 1894.
Le gouvernement canadien est déçu, de même que la chambre de commerce française de Montréal qui met en doute la volonté des armateurs français de créer cette fameuse ligne directe entre le Canada et la France. Mais ce n'est pas le cas de la chambre de commerce de La Rochelle qui invoque toujours l'attachement historique des Canadiens à La Rochelle ! Il faut croire que cet attachement à la France est bien réel, puisque le gouvernement canadien est toujours prêt à apporter son soutien. Mais il réclame cette fois-ci de l'action et non plus de belles paroles.
En novembre 1897, la chambre de commerce française de Montréal annonce une nouvelle tentative, avec le soutien du premier ministre canadien, mais sans désigner a priori de port d'escale français. Elle enjoint la chambre de commerce de La Rochelle d'agir sur les compagnies de navigation et les armateurs du port pour qu'ils se saisissent enfin de l'occasion qui se présente. Un nouveau service direct entre les deux pays est finalement créé, dont les premiers bateaux sont annoncés au printemps 1900...
La nouvelle ligne franco-canadienne doit desservir les ports du Havre et de Bordeaux et faire escale trois fois par an en Charente-Inférieure, non pas à La Rochelle, mais à... Tonnay-Charente, alors toujours le principal port d'expédition des eaux-de-vie des Charentes vers le Canada. Quelle déception pour La Rochelle ! Pourtant, cette fois encore, la compagnie franco-canadienne ne durera pas longtemps.
Dans une détermination sans faille, la chambre de commerce de La Rochelle admet maintenant qu'il faut créer cette ligne directe à partir des compagnies qui fréquentent déjà le port de La Pallice. C'est bien ce qui se passe en 1903. La compagnie de navigation finlandaise Finska Llyod ouvre une nouvelle ligne directe entre La Rochelle et Montréal, qui connaît un certain succès, malgré les difficultés d'exploitation. Cependant, le gouvernement canadien n'a pas renoncé à établir durablement une ligne franco-canadienne.
En 1905, il subventionne la compagnie canadienne Allan, qui assurait déjà depuis 1896 la liaison régulière entre le Canada et l'Angleterre, pour qu'elle prenne en charge la liaison régulière avec Le Havre. Contrairement aux précédentes tentatives, cette nouvelle ligne régulière entre le Canada et la France est une réussite. Le Havre est devenu le nouveau port français tête de ligne des relations commerciales avec le Canada. Le service de la Finska Llyod n'y survivra pas.
La Rochelle a définitivement perdu la partie, du moins pour redevenir la porte d'entrée des produits canadiens, ce qui ne l'empêchera pas de devenir un grand port maritime de France.
Jean-Marc Agator