Si nul n'ignore le rôle joué par l'Eglise catholique dans le développement de la Nouvelle-France, la présence des protestants durant les 150 ans que dura la colonisation française est rarement évoquée en tant que telle. Outre les fondateurs des premières colonies, Dugua de Monts en tête, c'est toute une cohorte de gentilshommes ou d'aventuriers huguenots qui ont laissé leurs noms attachés à l'histoire de la colonie française du Canada.
En avril 1598, en promulguant l'Edit de Nantes, Henri IV mettait fin à 36 ans de guerres de religion qui avaient vidé les caisses du royaume et le laissaient au bord de la décomposition, à la merci de l'ingérence espagnole.
Henri de Navarre qui avait de peu échappé au massacre des chefs protestants lors de son mariage avec Marguerite de Valois avait abjuré le protestantisme en février 1593 de manière à pouvoir accéder au trône de France. La levée de son excommunication fut prononcée en 1595, un an après son couronnement , le pape ne se faisant guère d'illusions sur la sincérité d'une conversion surtout dictée par le devoir moral associé à un grand pragmatisme. L'édit de Nantes garantissait aux huguenots la liberté de conscience et celle de pratiquer leur religion, tout en instituant la création de plusieurs "Places de sûreté", c'est à dire de fiefs protestants à l'intérieur du royaume. La Rochelle, grand port de commerce de la façade océanique était l'une de ses principales places de sûreté de l'Ouest de la France. C'est dire qu'une fois devenu roi, Henri IV n'allait pas renier ses fidèles, tel le ministre Sully nommé en 1595. C'est ainsi qu'un certain nombre de ceux qui avaient vaillamment combattu à ses côtés lors des guerres de religion furent de l'aventure coloniale du Canada.. Son fils louis XIII qui ne lui ressemblait en rien eut l'attitude inverse. Inquiet d'avoir au sein du royaume, des états ingérables qui, à l'instar de La Rochelle, affichaient un pouvoir lié à leur richesse, il décréta la suppression de ces enclaves protestantes en 1626. Suite au Siège de la Rochelle l'année suivante où la ville s'était alliée aux Anglais pour défier son souverain, interdiction fut faite aux Huguenots de s'installer en Nouvelle-France. La crainte était pour ce roi très catholique de voir se créer loin de la France, des alliances avec les colons protestants de Nouvelle-Angleterre. Mais les autorités civiles et militaires de la Nouvelle-France, malgré les demandes réitérées de l'Eglise, fermèrent les yeux. On se contenta donc d'interdire aux protestants de se rassembler pour célébrer leur culte, bref, de se faire oublier... Sachant que bon nombre d'affaires se traitaient avec le port de La Rochelle, et que des compagnies marchandes aux mains des protestants alimentaient l'activité économique, c'eut été condamner la colonie que d'interdire toute activité à ceux qui n'étaient pas du bon bord religieux d'autant que catholiques et protestants réunis avaient fort à faire pour dépasser le chiffre de 200 âmes....Lorsque Louis XIV révoqua l'Edit de Nantes en 1685, il n'y eut plus d'autre issue pour les protestants que de s'exiler et pour ceux désireux de s'installer en Nouvelle-France que d'y entrer sous couvert de catholicisme affiché. Certains le firent, sans état d'âme !
Dugua et Chauvin les précurseurs
Alors qu' Henri de Navarre accédait au trône de France, le huguenot Pierre du Gua de Monts qui s'était distingué aux côtés du Béarnais dans ses combats contre la Ligue était devenu gouverneur de la ville de Pons en Saintonge.
Il avait fait plusieurs voyage au Canada dont un avec Pierre Chauvin de Tonnetuit, capitaine de la garde huguenote de Honfleur, tous deux intéressés par la fondation d'établissements en Nouvelle-France contre le privilège de la traite avec les Amérindiens.Si la tentative de Chauvin de Tonnetuit à Tadoussac au printemps 1600 fut un fiasco, celles de de Monts eurent plus de succès après le demi-échec de l'implantation sur l'île Sainte-Croix à l'embouchure du fleuve Saint-jean.
De Monts qui avait été nommé "Lieutenant général des côtes, terres et confins de l'Acadie, du Canada et autres lieux en Nouvelle-France "avait recruté des catholiques autant que des protestants, des nobles comme des artisans. Dans son équipe, Jean de Biencourt de Poutrincourt qui avait combattu dans les rangs des Ligueurs catholiques et le jeune géographe Samuel Champlain dont le seul prénom disait assez qu'il était issu d'une famille protestante*.A leurs côtés s'embarquaient un curé et un pasteur pour veiller chacun sur leurs ouailles. Dans ses mémoires, Champlain rapporta que les deux hommes se querellèrent violemment mais ne fait pas mention d'un quelconque parti pris de la part des voyageurs. L'objectif de Du Gua de Monts et de ses compagnons était la création d'établissements pérennes pour la France au Nouveau Monde, non d'alimenter des querelles religieuses.
La fin de la puissante Compagnie de Caën
La charte de la Compagnie des Cents Associés créée par Richelieu qui reçut le monopole de la traite en 1627, stipulait que la colonisation devait être uniquement réservée aux catholiques. Elle avait pour but d'évincer les huguenots et tout particulièrement la puissante Compagnie de Caën. Celle ci était dirigée par Guillaume de Caën, protestant, associé à deux catholiques, son oncle Ezéchiel et son cousin Emery. En 1628, de Caën, baron de Cap Tourmente, se voit interdire de commercer en Nouvelle-France , ce qui ne l'empêche pas d'obtenir un monopole de traite dans le Saint Laurent, en 1631 à condition qu'il n'y aille pas lui-même. En 1632, Richelieu charge Guillaume de Caen d'organiser la reddition de Québec face aux frères Kirke. Pendant ce temps, poursuivant la Compagnie des Cents associés en justice, Guillaume de Caën travaille à obtenir compensation pour les pertes qu'il a subies, ses comptoirs ayant été régulièrement pillés. En 1633 il obtiendra de Richelieu, cinq petites Antilles encore inoccupées et prendra le titre de Baron des Bahamas, mais aucun colon protestant ne s' installera jamais dans ces îles !
Capitaine Baptiste, corsaire et bigame.
Avec la révocation de l'Edit de Nantes, Louis XIV ferme définitivement la porte de la Nouvelle-france aux protestants. Certains passent cependant par les mailles du filet tel Pierre Meyzonnat, un jeune batelier appartenant à l'église réformée de Bergerac. Délaissant femme et enfant, il se lance dans la grande traversée et se retrouve prisonnier dans la garnison de Port-Royal qui vient d'être prise par les Anglais en 1690. Il obtient sa libération en se faisant reconnaitre comme protestant, et se met immédiatement sous la protection de l'église française de la ville peuplée essentiellement d'émigrés huguenots.
Il reçoit du gouverneur de l'Acadie le droit de se livrer à la Course sous le nom de Capitaine Baptiste et en moins de deux ans, il s'empare d'une vingtaine de navires anglais. Sa notoriété franchit l'Atlantique au point qu'il est reçu à Paris en 1694 par le Ministre de la Marine qui le consulte sur sur un plan d'attaque de la Nouvelle-Angleterre. Mais le gouverneur Frontenac s'inquiète de son mariage avec une jeune fille de Port-Royal, mariage qui fait de Baptiste un bigame. L'affaire ayant fait fortement jaser en France comme dans la colonie, Capitaine Baptiste qui avait la réputation d'avoir une femme dans chaque port- et il était toujours en course- est prié de ramener sa femme légitime et sa fille à Port Royal. Il s'exécute et continue ensuite de faire parler de lui comme corsaire. Capturé à plusieurs reprises et menacé d'être pendu comme pirate par les Anglais, il est ensuite associé à la défense de Port-Royal où il se distingue aux côtés du gouverneur Subercaze et de Bernard-Anselme de Saint-Castin, fils du baron béarnais de Saint-Castin et de sa femme abénakise. Devenu veuf, il fonde une nouvelle famille en 1707 avant de disparaître en 1714 sans laisser de trace...
Il y eut d'autres "Capitaine Baptiste". La situation leur commandait de rester dans l'ombre. Certains historiens évaluent à un millier de personnes le nombre de protestants qui ont vécu en Nouvelle-France toutes origines confondues, qu'ils soient nobles, soldats, commerçants ou artisans.
*Il semble que l'acte de baptême pastoral de Champlain ait été découvert à La Rochelle en avril 2012, mais certains historiens doutent encore de son authenticité.
Claude Ader-Martin