C'est par un dimanche frisquet de ce printemps qui tardait à éclore que les membres d'AQAF se sont retrouvés à Archigny (Vienne) à marcher dans les traces des réfugiés acadiens du XVIII ème siècle. L'histoire tragique du Grand Dérangement commence, on le sait, avec les premières déportations vers les colonies britanniques d'Amérique et d'Angleterre.
Une deuxième vague d'exilés arrive en Europe en 1758 après la chute de Louisbourg, les pauvres gens s'entassant dans les grands ports français comme Saint Malo où ils survivent tant bien que mal durant quelques années grâce à la pension journalière de 6 sols que les caisses du royaume leur versent assez irrégulièrement. Certains arrivent à Nantes et à Rochefort, suffisamment mal en point pour qu'on les confine à l'Ile d'Aix dans le but de leur refaire une santé. Malheureusement, plusieurs dizaines d'entre eux y meurent de fièvre et d'épuisement. Mais puisqu'ils étaient là, il fallait bien réfléchir à leur devenir.
Expériences agronomiques
Entre en scène le marquis de Perrusse des Cars, homme aux idées d'avant-garde, qui considère que l'agriculture est source de toutes les richesses. Il a à son actif une expérience réussie "d'intégration" comme on dirait aujourd'hui d'une quinzaine de familles de cultivateurs rhénans qui ont constitué le modèle d'un village dont les habitants parviennent à vivre en toute autarcie. Persuadé que son modèle est duplicable, il entreprend d'acheter en 1753, le château de Monthoiron et ses terres plantées de brandes avec l'objectif de les faire défricher afin de les rendre cultivables. Son projet prévoit la construction de plusieurs villages composés chacun d'une trentaine de maisons et de terres, d'animaux de trait, de matériel et d'outils nécessaires à la culture qui deviendraient la propriété de leurs occupants.. L'arrivée des Acadiens en France donne alors au marquis l'idée de créer une colonie acadienne dans ce coin du Poitou qui avait vu partir vers le Nouveau Monde les ancêtres des exilés un siècle auparavant. Le Roi y consent. Lorsque les premières familles arrivent en 1773, les maisons qui devaient les accueillir sortent à peine de terre, ce qui ne manque pas d'alimenter leur colère, d'autant que les chefs de famille s'étaient montrés très réticents à l'idée de quitter les ports qui représentaient pour eux, l'espoir d'un retour vers l'Amérique. La ville de Châtellerault accueille alors plus d'un millier de ces réfugiés, ostracisés par la population locale vivant pauvrement qui voit d'un mauvais oeil ces étrangers qui touchent une pension sans offrir aucun travail en échange. En juillet 1774, ils sont ainsi 1472 à attendre en Poitou, une nouvelle vie.
Un chanoine canadien-français pour protecteur
Alors que deux seigneuries ecclésiastiques s'étaient montrées très peu désireuses de partager leur sol avec les nouveaux arrivés, plusieurs dizaines d'Acadiens trouvèrent refuge à la belle Abbaye cistercienne de l'Etoile dirigée par Jean-Marie de la Corne de Chaptes né à Contrecoeur en Montérégie, ancien curé de la paroisse de Saint Michel de Bellechasse qui avait ardemment défendu auprès du gouvernement britannique le maintien de la religion catholique au Bas Canada après le Traité de Paris de 1763. Le chanoine de la Corne ne pouvait fermer les yeux sur la détresse de ses anciens compatriotes de la Nouvelle-France. Ce ne fut pas assez. Bien qu'installés dans les maisons qui avaient fini par être construites, certains refusèrent de défricher les terres tant qu'ils n'auraient pas leurs titres de propriété, d'autres manifestèrent vite leur peu d'aptitude pour le travail qu'on leur proposait. L'échec fut constaté.A l'automne 1775, deux ans après le début de l'aventure, un premier groupe d'exilés prit le chemin de Nantes afin d'embarquer vers la Louisiane, bientôt suivi par tous les autres à l'exception de 150 personnes qui se fixèrent dans la région par le jeu des mariages entre Acadiens et gens du pays. Des 58 maisons d'origine, toutes construites sur le même type pour correspondre au plan d'implantation initial, il en reste 32 dont certaines ont subi des modifications importantes pour les rendre habitables de nos jours.
Restent la ferme n°6 transformée par les pouvoirs publics en lieu associatif tourné vers le tourisme, et au lieu dit "Les huit maisons", une des premières fermes construite en 1773 qui permet de retrouver la trace des exilés grâce au travail de l'association des Cousins Acadiens du Poitou. Leurs noms y sont pieusement conservés avec l'histoire de leur épopée tragique, conséquence d'un génocide dont on sait maintenant qu'il avait été très bien organisé.
Claude Ader-Martin