La ville de Fort Wayne, dans l'état de l'Indiana, se situe à la jonction des deux rivières Saint-Joseph et Sainte-Marie qui s'unissent pour donner naissance à la rivière Maumee. Celle-ci s'écoule ensuite vers le Nord-Est pour se jeter dans le lac Erié près de la ville de Toledo (Ohio). Pendant le 18e et au début du 19e siècle, cette région fut au cœur de la guerre entre Français et Anglais, puis entre Américains et Amérindiens.
En effet, pas moins de cinq forts se succédèrent pour protéger ce site stratégique. Que fallait-il donc protéger à tout prix à la confluence des trois rivières où les Amérindiens miamis avaient établi leur principal village ? Quel était ce trésor que les Miamis avaient baptisé la "Porte de la Gloire" ?
Les Miamis, peuple de langue algonquienne allié des Français, vivaient à l'origine sur les territoires de l’Indiana et du sud du lac Michigan. Au 17e siècle, ils s'étaient réfugiés dans la région de Green Bay (Wisconsin) pour échapper aux incursions des Iroquois venant de l'Est. Il fallut la grande paix de 1701 avec les Iroquois pour qu'ils reviennent sur leurs terres de l'Indiana et s'installent dans les vallées des rivières Ouabache (Wabash) et Maumee. L'emplacement qu'ils choisirent pour leur principal village n'était pas le fruit du hasard…
Un simple portage de quelques kilomètres (hors saison sèche) permettait, depuis la rivière Sainte-Marie, de remettre les canots à l’eau pour rejoindre la rivière Ouabache, affluent de la rivière Ohio, elle-même affluent du Mississippi. Ce portage providentiel était tout simplement situé sur la ligne continentale de partage des eaux entre le bassin hydrographique des Grands Lacs et du Saint-Laurent et celui du Mississippi. Les trappeurs et marchands de fourrures canadiens et français pouvaient donc rejoindre la vallée du Mississippi depuis le lac Erié sans pratiquement quitter les cours d'eau. La voilà donc la fameuse Porte de la Gloire ! Un carrefour fluvial stratégique pour le commerce au Sud des Grands Lacs !
Les Français l’avaient compris les premiers. A la fin du 17e siècle, ils avaient déjà exploré le territoire du nord de l’Indiana et découvert le formidable atout de ce portage dans une région très riche en peaux de castors. En 1722, leur premier poste de traite fortifié fut construit à l’ouest de la confluence des trois rivières, au bord de la rivière Sainte-Marie (aujourd'hui Guldlin Park). Il visait à contrôler ce lien vital entre le Canada et la Louisiane et réduire l’influence anglaise dans la région. Ce poste de traite palissadé, connu sous le nom de poste Saint-Philippe des Miamis (poste des Miamis), comporta jusqu'à trente soldats pour le garder. Il était idéalement placé pour faciliter le commerce des fourrures florissant avec les Miamis et leurs alliés amérindiens. Cette situation était pourtant fragile…
Les Anglais continuaient d’exercer une forte influence sur les Miamis et s’efforçaient de les retourner en leur faveur. En 1747, le poste des Miamis fut détruit par des Miamis dissidents, mais reconstruit en 1752 à la confluence des trois rivières, sur la rive est de la rivière Saint-Joseph (aujourd'hui Delaware Avenue). Il resta français jusqu'à son occupation par les Anglais à l'issue de la guerre de conquête, en 1760. Cette nouvelle situation marqua la fin de l'influence française dans la région, mais pas celle de l’activité de traite…
L'occupation anglaise du poste des Miamis fut brève puisque les Miamis en chassèrent les Anglais en 1763 lors de la rébellion amérindienne de Pontiac. Le poste des Miamis resta ensuite inoccupé, malgré la présence continue sur le site de marchands d’origine française et anglaise et de leurs familles. Leurs voisins amérindiens étaient répartis dans plusieurs villages des tribus Miami, Delaware et Shawnee. Pendant la guerre d'indépendance américaine, tous ces villageois se rangèrent du côté des Anglais, convaincus que leur activité de traite serait ainsi préservée. Par la suite, les Amérindiens entrèrent en résistance contre les colons américains pour préserver leurs terres qu’ils estimaient menacées…
En août 1794, la guerre amérindienne du Nord-Ouest se termina par la victoire du général américain Anthony Wayne contre le chef miami Little Turtle et ses alliés amérindiens, lors de la bataille de Fallen Timbers, près de Toledo (Ohio). Wayne marcha ensuite vers la confluence des trois rivières où il savait qu’un fort était nécessaire pour éliminer les dernières résistances amérindiennes et contrôler l’influence anglaise sur les Amérindiens. Le premier fort Wayne fut construit en octobre 1794 à la confluence des trois rivières, sur la rive sud de la rivière Maumee, autour duquel grandit la future ville de Fort Wayne. En 1800, face à l'état dégradé du premier fort, un deuxième fort Wayne fut construit plus près de la rivière (aujourd'hui Old Fort Park).
En 1816, le troisième et dernier fort Wayne remplaça le précédent au même endroit. Son intérêt stratégique diminua ensuite avec la disparition de la menace amérindienne et le cheminement de la colonisation vers l’Ouest. En 1819, le dernier fort Wayne fut mis hors service. Une petite colonie vivait encore à proximité immédiate et sous la protection du fort américain, dans une trentaine de cabanes en rondins et deux maisons à charpente de bois. Les habitants étaient encore presque tous d'origine française ou métisse…
Jean-Marc Agator