En 1813, Jean-Baptiste Melchior Hertel de Rouville, officier, fonctionnaire, seigneur et homme politique du Bas-Canada, faisait un vibrant éloge de sa mère, Louise Catherine André de Leigne : « C’était une des plus jolies personnes de son temps [...] ses manières, son éducation, ses vertus surpassaient de beaucoup les autres avantages dont la nature l’avait pourvue ». Louise Catherine, décédée en janvier 1766 à Trois-Rivières, avait défrayé la chronique à Québec, en Nouvelle-France, bien moins par son engagement patriotique contre les Britanniques que par ses aventures amoureuses. Son coup d’éclat est sans doute d’avoir épousé à Québec un jeune homme mineur d’une grande famille, plus jeune qu’elle de 11 ans, malgré l’opposition de la mère du marié. Bien entendu, toute allusion à des personnalités d’aujourd’hui est purement fortuite. Pourtant, l’histoire a aussi retenu un épisode particulièrement rocambolesque de la vie de la jeune femme…
Nous sommes en 1734, à Québec. Pierre André de Leigne, lieutenant général civil et criminel de Québec, décide de contraindre sa jolie fille cadette de 25 ans, Louise Catherine, à embarquer pour la France, avec l’appui des autorités de la colonie. De Leigne pense en effet que loin de Québec, sa fille oubliera les jeunes officiers sans fortune qui la courtisent et acceptera un mariage plus convenable. La première nuit, alors qu’elle vient de s’installer dans le navire encore en rade à Québec, la belle se déguise en homme et réussit à s’enfuir, avec la complicité de deux de ses soupirants. L’un d’entre eux est l’officier Henry Albert de Saint-Vincent, âgé de 36 ans, marié et père de quatre enfants. Le lendemain, très embarrassée de sa propre conduite, la demoiselle change finalement d’avis et revient volontairement sur le navire.
L’année suivante, elle choisit de rentrer inopinément à Québec et de se réfugier chez son beau-frère, le sieur Lanoullier de Boisclerc, après le refus de son père de la recevoir. Par la suite, les autorités locales vont constater que sa conduite est devenue acceptable et les relations avec son père apaisées. Quant aux deux jeunes officiers complices de son évasion de l’année précédente, ils avaient été mis aux arrêts. Le sieur de Saint-Vincent, très épris de la belle demoiselle, avait été averti que s’il lui causait encore du tort, il serait irrémédiablement mis en prison et pour longtemps. On ne plaisantait pas avec la réputation d’une jeune fille de bonne famille.
En 1741, Louise Catherine fait donc de nouveau parler d’elle, à l’âge de 32 ans, après qu’un jeune officier de 20 ans, René Ovide Hertel de Rouville, se soit épris d’elle. René Ovide est le fils d’une grande famille de militaires, mais on l’oriente très tôt vers des études de droit. Son union avec Louise Catherine est célébrée le 20 mai 1741, alors qu’il n’a pas encore atteint sa majorité, à 21 ans. Opposée radicalement à ce mariage, sa mère et tutrice, Marie Anne Baudouin, veuve Hertel de Rouville, demande alors son annulation auprès du Conseil supérieur de Québec, puisqu’elle n’a pas donné son consentement préalable. Elle obtient gain de cause le 12 juin 1741. Mais René Ovide atteint sa majorité le 6 septembre, si bien que le mariage est de nouveau célébré le mois suivant, cette fois-ci officiellement et sans doute en présence des deux familles.
L’ironie de l’histoire est que le 20 mai 1741 les deux amants avaient effectivement établi un contrat de mariage devant le notaire Boisseau, à Québec. Comme le précise Pierre-Georges Roy, « Le même jour, après avoir obtenu dispense de trois bancs, et la permission de se marier, du grand-vicaire du diocèse, ils s'épousaient devant le Père Valentin, récollet. Deux jours plus tard, le 22 mai, M. Plante, curé de Québec, déclarait n'avoir pas donné permission au mariage et n'avoir pas été informé de sa célébration. ». Madame veuve Hertel de Rouville pouvait bien s’opposer à ce mariage. Les deux tourtereaux étaient simplement déterminés à convoler en justes noces. En affirmant son autorité morale, l’intransigeant curé Plante n’avait fait que retarder leur projet.
Les jeunes époux Hertel de Rouville s’établiront à Trois-Rivières où René Ovide sera nommé à 24 ans, sans doute grâce à l’appui de son beau-père, lieutenant général civil et criminel de la ville. De leur union naîtront cinq enfants, dont Jean Baptiste Melchior, le plus célèbre d’entre eux. Au final, on préférera retenir le beau mariage de Louise Catherine, que son père n’avait, pour sa part, pas renié, et oublier le scandale qu’il a suscité en Nouvelle-France.
Image d'en-tête : Le Château Frontenac, à Québec (auteur Thomas1313, licence CC BY-SA 4.0).
Jean-Marc Agator
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