Si être à Québec revêt toujours un caractère privilégié à mes yeux, c'est parce que j'ai souvent l'occasion d'y avoir des activités qui sont loin d'être ordinaires si l'on considère par exemple le fait de se retrouver sur un brise-glace fendant la banquise du Saint-Laurent comme ce fut le cas durant l'hiver 2011.
Cette année, c'est d'une autre immersion dont il s'agissait, puisque la perspective d'un article à écrire pour une revue nationale m'a fait débarquer tout droit à l'Hôtel du Parlement de Québec le 12 février jour de reprise de la session parlementaire. Tout d'abord dans les coulisses aux côtés de mes collègues qui attendent l'arrivée des vedettes du jour. Voici la Première Ministre qui arrive au pas de charge, l'œil pétillant. Passent ensuite ses opposants du parti Libéral, le brillant et un peu froid Monsieur Couillard en tête, bientôt suivi de Monsieur Legault de la CAQ (Coalition Avenir Québec) qui semble aimer tout le monde puisqu'il se précipite pour me saluer.
Enfin s'avance celle qui sera la vedette du jour, Fatima Houda-Pépin, seule députée musulmane de l'Assemblée, mise au banc de son propre groupe (libéral) pour divergence d'opinion sur la question de la laïcité. Voilà une dame qui refuse de renier ses convictions et tient-dit-elle- à plaire à ses électeurs plutôt qu'à un parti. J'ouvre grand mes yeux et mes oreilles et tente de décoder les attitudes, les expressions et surtout les non-dits. Il serait illusoire de croire que l'on fonctionne ici comme en France.
Du côté de mes collègues, on s'amuse beaucoup d'une affaire relatée la veille dans les médias en rapport avec les discussions du moment sur la laïcité : celle du burkini, maillot de bain qui couvre l'intégralité du corps et une partie du visage dont une jeune mère de famille s'est vêtue pour accompagner son enfant dans une piscine de Québec. Dans la société québécoise et les médias, il y a ceux qui l'approuvent au nom de la liberté, d'autres qui la désapprouvent au nom de la laïcité et enfin ceux qui trouvent le vêtement aussi ridicule que la polémique qu'il entraîne. On est dans un pays où le pragmatisme et le bon sens qui va avec ont toujours leur (bon) mot à dire. Quand j'imagine les tirades philosophico-historico-politiques qu'un tel sujet entrainerait chez nous, cela fait un peu rêver.
Il est temps pour moi de rejoindre la tribune de la presse dans le fameux Salon Bleu aux boiseries ornementales qui rappellent que l'activité principale du port de Québec était le commerce du bois au milieu du 19ème siècle. Aucun doute, je viens de faire en saut dans l'Empire Britannique avec des députés qui se font face et un président d'Assemblée assis sur un trône orné d'une couronne, surmonté du crucifix qui fait débat : Est-ce un signe religieux ostentatoire ou un élément du patrimoine du Québec ? Que l'on ne compte pas sur moi pour répondre à la question, le projet de Loi 60 est là pour le faire. Après quelques instants de recueillement-ça rappelle un peu le catéchisme- les choses sérieuses peuvent commencer et cela va démarrer en trombe étant donné que la séance est minutée à 2 heures.
L'opposition - c'est son rôle- tente de faire dire à la Première Ministre qu'elle va déclencher des élections mais elle reste muette à ce sujet. Pourtant cela paraît être un secret de polichinelle, on en connaitrait même la date (14 mars prochain).Ce qui me porte encore à rêver sur le caractère très court d'une campagne électorale destinée en changeant la donne, à donner une majorité au Parti Québécois: gain de temps, d'argent, d'énergie, de la patience des électeurs. J'admire de plus en plus ce coin de planète où l'on va à l'essentiel, y compris en politique ! Nous nous attendons tous à des questions sur le projet de Loi 60 dite Charte de la Laïcité assez controversé par la Commission des droits de la personne dans la mesure où il remet en question la Constitution. C'est la députée libérale indépendante Houda-Pépin qui crée la surprise en présentant un projet de loi qui va bien au delà de ce que propose le gouvernement de Pauline Marois. On voit quelques députés péquistes qui ont l'air de boire du petit lait... C'est le moment que choisit le chef du parti libéral pour tenter sans grande conviction, de déstabiliser la Première Ministre; Le travail de la Commission Charbonneau qui enquête depuis deux ans sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction et de ses liens avec le crime organisé vient sur le tapis et le ton monte sans que personne pourtant ne dépasse les bornes de la bienséance. Chacun sait que c'est bien la tenue prochaine d'élections qui intéresse les partis en présence et que cette session parlementaire risque de s'achever à peine après avoir commencé.
Claude Ader-Martin à Québec